Chapitre 45

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Le menton haut, je regarde Alan en attendant qu'il daigne ouvrir sa bouche. "Si vous n'avez rien à dire, j'aimerais bien rentrer chez moi." Il demeure muet, et ses yeux m'analysent depuis maintenant plusieurs minutes. Il ne va pas bien lui... Qu'est-ce qu'il se dit là au juste ? Le moment de vérité arrive lorsqu'il inspire profondément avant d'exprimer cette atroce combinaison de syllabe et de voyelle qui abat mon cœur : "je vous aime Enra." Ses yeux sont sombres, comment peut-il me dire ça avec un regard aussi dur. Je n'ai plus la force de le regarder en face. Droit devant moi se trouve son torse et la partie inférieure de son cou.

"C'est pas ce que vous vouliez dire", "si, c'est exactement ce que je voulais dire. Vous ne savez pas mieux que moi ce que je ressens." J'observe maintenant mes pieds que j'utilise pour racler le sol en gravier, je suis visiblement plus gênée que je ne pourrais l'admettre, "si c'est tout, je vais y aller. Et j'aimerais que vous arrêtiez de me suivre parce que même si je sais que c'est seulement vous, je trouve ça vraiment angoissant", "alors laissez moi vous y accompagner." Je le contourne en cherchant du regard ma Clio bleue. "Je sais même pas où est ma voiture." Il me l'indique en levant à peine le menton vers une direction, "au fond à gauche." Je suis son itinéraire à l'aveugle, je ne perçois pas ma voiture dans cette profonde obscurité.

"Pourquoi vous ne me croyez pas. Vous pensez que ça m'amuse de passer mon temps à me répéter ? Vous décrédibilisez toutes les choses que je vous dis. Vous acceptez que ce qui vous arrange, ce qui vous fera me détester." Je ris jaune, "je prends en considération que les mots qui me semblent sincères, vous semblez honnête que quand vous dîtes des choses blessantes, c'est pas de ma faute", "vous voyez ce que vous voulez voir." Je m'immobilise, et il fait de même, "c'est faux, vous croyez que ça ne me ferait pas plaisir de vivre une romance idyllique avec un homme que j'aime et qui m'aime en retour ? Vous croyez que j'apprécie le fait d'être la seule à donner sans jamais recevoir ? Vous me dîtes que vous m'aimez avec un regard noir, comment vous voulez que je vous crois sincère ? Vos yeux sont plus expressifs que votre bouche, et à chaque fois, ils me montrent à quel point vous mentez, à quel point vous me haïssez."

"Je ne vous hais pas", je hausse mollement les épaules, "peut-être, mais vous ne m'aimez pas non plus." Nos yeux se croisent quelques secondes, et mes jambes sont maintenant frêles. "Et vous Enra ?", "c'est une évidence, je vous... apprécie beaucoup", je finir par bafouiller, pour éviter de me ridiculiser une énième fois en utilisant l'expression "je vous aime." Il me conteste automatiquement, "c'est faux. Vous vous êtes bien foutue de moi vous aussi au départ, vous disiez me haïr. "Idiot, débile, con" etc. Vous vouliez m'empoisonner non ? Alors pourquoi je suis vous croirais aujourd'hui", "parce que ça fait bien longtemps que je ne vous ai rien dit de tel. Vous m'avez craché à la figure, il y a quelques jours, que si vous le pouviez, vous aurez choisi une autre femme. J'ai vraiment besoin de développer ?"

Je me tais un instant, et mon silence est éloquent. Alan reste silencieux alors je reprends le cours de mon discours. "Imaginez-vous à ma place deux minutes. Si moi je vous disais ça... pour après vous balancer : "je vous aime", est-ce que vous me croirez ? Non. Si vous pensez que je suis une menteuse... alors c'est pas grave. Je ne vous demande pas de me croire de toute façon. Je veux juste rentrer chez moi et oublier cette journée." J'enfonce ma clef dans la serrure de la portière, mais avant d'ouvrir celle-ci, une main tiède se pose sur la mienne et la recouvre entièrement, m'empêchant de bouger. "J'ai pas fini, lâchez cette porte s'il vous plaît." Ce contact peau à peau me donne des vertiges, c'est comme si j'étais en pleine hallucination, alors j'obéis et m'écarte. "Pourquoi vous m'avez acheté cette lampe ?", "parce que ça me tenait à cœur, je ne me suis pas posé de question, je l'ai juste fait." Son corps ne bouge pas, et son regard est toujours aussi sombre. "D'accord, alors je veux vous inviter à dîner. Et avant que vous ne me demandiez pourquoi, je vais vous répondre : parce que j'y tiens, je ne me suis pas posé de question. J'en ai juste envie."

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant