Chapitre 21

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Anderson fait comme s'il ne m'avait pas entendu. Il se lève et se penche pour regarder les quelques photos encadrées. Sur l'une, il y a Nathan et moi, lors de nos vacances en Islande. Sur une autre, nous sommes des enfants souriant, accompagnés de Tom, Élisabeth, ainsi que de leurs trois garçons. Il m'interroge : "c'est votre famille d'accueil ?", je m'esclaffe nerveusement, "vous enquêtez même dans cet état, quelle bravoure lieutenant Anderson ! ", "je n'enquête pas, je n'ai rien d'autre à faire, je me distrais." Je presse mon index sur son épaule pour le pousser, il me fusille des yeux, mais ne bouge pas d'un millimètre. Son bras est aussi dur que la pierre, Alan est imposant, et j'avoue que ça m'embête. "Déguerpissez, ça ne vous regarde pas." Je le pousse une seconde fois, mais il reste immobile. Je me résigne, baisse les bras, comprenant que j'ai échoué, puis retourne m'installer sur mon pouf. Anderson observe ma magnifique lampe, ainsi que toutes les broutilles qui décorent mon mur, son regard s'illumine, il est impressionné.

"Si c'est immonde pourquoi vous n'arrêtez pas de regarder ?", "j'aime bien observer les choses laides, elles me fascinent", il dit d'une voix pleine de sous-entendus, en me scannant quelques interminables secondes. Ses yeux passent de mes cheveux, à mon visage, mes vêtements, jusqu'à mes chaussettes mauves. Il revient à mon visage comme pour insister sur cette partie-là, et j'ai immédiatement envie de disparaître de la surface de la terre.  Il est vraiment horrible. Il vient d'insinuer que je suis tellement laide que je le fascine, j'ai sincèrement envie de pleurer.

Je ne détient plus la force de me disputer, ni de lui rendre sa pique. Je ne ferai pas mieux, je ne réussirai jamais à être aussi sincère et offensante que lui. Il m'a mis un K.O, je suis à terre. Et rien que je ne puisse dire pourra l'atteindre, pour la bonne et simple raison que son physique est trop avantageux, aucun commentaire déplaisant me vient en tête lorsque je le regarde. Je quitte la pièce, et m'enferme à double tour dans ma chambre. Je me place face au grand miroir, et scrute mon reflet : je ne suis pas si laide que ça... Merde. J'ai beau essayer de me convaincre que ce n'est pas le cas, je n'y parviens pas. Je m'en fiche, la beauté est subjective, c'est pas la fin du monde si Alan Anderson me trouve laide. Il n'était quand même pas forcé d'utiliser ce terme-là. Je plonge sur mon lit et enfonce ma tête dans mon coussin. J'ai failli mourir ce soir et tout ce qui me préoccupe est l'avis de ce poulet. Flic de merde. Je les ai toujours haïs ceux-là... Je finis par m'endormir, bercée par le tonnerre, les sourcils plissés.

Le lendemain, je suis réveillée par des sons provenant de la salle de bain. Je n'ai pas envie qu'il voit ma tête au matin, qu'est-ce qu'il penserait hein ? Il se dirait : "c'est pire que ce que je croyais." Je stagne dans mon lit pendant au moins une heure comme un foutu microbe avant de me sentir d'attaque. Je rejoins ma salle de bain en rasant les murs, j'y fais ce que j'ai à faire, avant de longer le couloir, le cœur battant à forte allure. Alan est dans le salon, il a retiré, plié les draps puis a déposé tous les petits coussins sur le fauteuil. Il est debout face à la fenêtre, et il se tourne vers moi très lentement lorsqu'il m'entend. Je suis pourtant arrivée en marchant sur la pointe de mes pieds. Je m'enfuis, comme si j'étais recherchée, puis je gagne ma cuisine. Ses pas font écho dans mon appartement, il me suit. À ce moment précis, la panique me gagne et prend le pouvoir en mon être, à quel point ? Je prépare une tartine au beurre, alors que je n'aime pas le beurre. Je suis pathétique.

Quand il entre dans la pièce, je me demande où est-ce qu'a bien pu disparaître ma force mentale. "Vous voulez quoi ?", je l'interroge de vive voix, "rien de spécial, savoir si ça va", "ça va." Je sens son regard sur moi, il recommence... J'ai gardé mon dos tourné, je ne veux pas qu'il voit mes joues empourprées, il pourrait s'imaginer des choses. Je cherche la confiture de figues, la tête dans le réfrigérateur, exaspérée, "vous pouvez au moins me laisser prendre mon petit-déjeuner tranquillement ?" Je fais semblant de chercher le pot pendant de longues secondes alors qu'il est là, sous mes yeux.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant