Chapitre 46

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Il me reluque de haut en bas, les deux mains touchant le fond de ses poches. Anderson quant à lui est vêtu comme toujours, une veste noire et une chemise blanche. Les deux premiers boutons sont ouverts, contrairement à d'habitude. Ses cheveux sont coiffés vers l'arrière, et des mèches aux nuances chatain retombent sur son front. "On y va ? Où vous avez changé d'avis ?" Il fait un pas en avant pour m'analyser davantage, il veut être certain que ce qu'il voit n'est pas un mirage, une illusion que son subconscient a crée.

"Anderson ?", "pourquoi je changerai d'avis ?", je lève les épaules, puis il me fait signe de le suivre. Je m'assieds dans sa voiture, et fixe mes mains tout au long du trajet. Nous entrons dans un restaurant chic, nous nous installons, et je sens que j'attire l'attention avec mon apparence. Anderson ne l'a pas remarqué, ou alors il fait semblant. Il regarde la carte en se frottant la nuque. Ses mains tremblent, et la carte qui contient le menu aussi. Je crois qu'il est nerveux. "Ça va ? Vous tremblez", il dépose la feuille plastifiée et glisse hâtivement ses deux mains sous la table.

Depuis que nous sommes ici, ses yeux sont fixés sur ce meuble qui crée une barrière physique entre lui et moi. "C'est mon apparence qui vous met dans cet état ? Vous savez...", je me penche vers lui pour murmurer : "il n'est jamais trop tard, vous pouvez mettre fin à cette mascarade. Chacun rentre chez soi et on efface définitivement cet épisode de notre mémoire." Il fronce les sourcils, "non, on efface rien. Choisissez votre entrée. Plus vite vous mangez, et plus vite je suis débarrassé de cet insupportable bleu sur vos lèvres." Je soupire, et commence à feuilleter leur carte. Je choisis une salade grecque, et je croise les bras tandis que le serveur s'en va. Il m'a regardé comme s'il n'avait jamais rien vu de tel, pourtant le rouge à lèvre bleue n'est pas si exceptionnel que ça.

"Je suis en train de vivre mon premier vrai rendez-vous, ça signifie que je peux vous tutoyer maintenant" Il a beau me fuir, je remarque toutefois que son regard n'est plus le même. "Non, vous...", "je te tutoie, et j'en ai rien à faire si tu n'es pas content. C'est vraiment ridicule de se vouvoyer, on est au même niveau hein, c'est pas comme si vous étiez mon supérieur hiérarchique." Je m'arrête, et souris, en réalisant que je l'ai vouvoyé sans même le vouloir. "Tu as compris... Je voulais dire : comme si t'étais mon supérieur hiérarchique", je m'immobilise et grimace, c'est presque douloureux de le tutoyer, et c'est moche à entendre, mais puisque ça l'embête je vais continuer.

"Anderson, pourquoi tu évites mon regard depuis qu'on est arrivé. C'est le rouge à lèvre qui te fait mal aux yeux ?", "mh, c'est ça." Je me munis de mouchoir pour essuyer soigneusement mes lèvres, et ôter tout ce bleu. Je frotte durant deux bonnes minutes, puis je le préviens, "c'est bon, j'ai retiré le rouge à lèvre." Il fait comme s'il ne m'avait pas entendu, et je commence à croire qu'il est épris de la table en bois qu'il fixe depuis maintenant une éternité. "Anderson, tu peux me regarder." Il lève les yeux, mais ne me regarde que le temps d'un flash. "Alors c'est pas le rouge à lèvre. Tu es mal à l'aise, moi aussi, alors mettons fin à ce calvaire. Cette robe est affreuse, je ne pourrais pas supporter plus longtemps le poids de tous ces bijoux sur mon cou. Et je n'ai pas faim, parce que mon estomac est compressé à cause de la pression que me procure ce dîner. C'est ma première fois, et tu es le Alan Anderson, le lieutenant Anderson, le seul abruti qui est parvenu à faire baisser mon estime de soi et qui... Je... ce que je veux dire c'est que mon stress est à son summum là..."

C'est à ce moment que le serveur arrive avec nos entrées, je le remercie dans un souffle, un sourire forcé aux lèvres. Lorsqu'il disparaît, Alan pose ses mains sur la table, et elles sont aussi tremblantes que tout à l'heure. "Mon stress aussi est à son summum, et je suis ravi que vous n'ayez fait aucun effort en ma faveur en ce qui concerne votre apparence. Je devrais même vous remercier pour ça." Je ne souris pas, j'ai juste envie de m'enterrer vivante. "Avec plaisir..." Ses billes retrouvent les miennes, et ne les quittent plus. Je dus me concentrer pour deviner qu'il venait de murmurer ces quelques mots : ce n'est pas suffisant.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant