Chapitre 41

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Ce fidèle vent m'empêche de marcher droitement, je pose un pied en avant, puis un l'autre suit par simple automatisme. Il m'est difficile d'avancer quand je sais que je fonce la tête la première dans un piège. Je vais visiter mon frère en prison, parce que j'ai des choses à lui dire. Mon âme est pleine à craquer ces derniers temps, mes pensées sont confuses et la peine en moi fuse comme de la lave. Je me sens coupable de tout, et je suis incapable d'incriminer complètement Nathan...

Je me fais fouiller, et me plie aux procédures qui me font extrêmement chier pour pouvoir pénétrer le centre pénitencière. Je me trouve assez rapidement assise sur cette chaise en métal, aussi dur et froide que le corps d'un mort. Embarrassée, je me tortille sur celle-ci en attendant mon destin.

Il entre, menotté, les cheveux en bataille, le regard noir, et le visage couvert d'hématomes. Je n'ai pas mal de le voir comme ça, mais je ne parviens pas à ressentir un quelconque plaisir ou de la satisfaction. La pièce est entièrement grise, et mon teint est accordé à cette nuance. Je suis plus pâle que jamais. Il s'assied en approchant de façon excessive la tête de la vitre qui nous sépare, ce qui provoque chez moi un geste brusque. Je recule, et un son très aigue et strident se fait entendre. Nous nous regardons dans les yeux, à peine une seconde avant que je ne m'ajuste péniblement sur ma chaise, une nouvelle fois.

"Pourquoi tu ne les aides pas à trouver les corps ?", "tu ne me demandes pas comment ça va ? Tu te fais pas du souci pour moi ? Tu vois bien l'état dans lequel je suis ?" Immobile, je le regarde avec détachement. "Je ne ressens strictement rien Nathan, je veux juste que t'aides les familles à faire leur deuil. Je... veux que tu leur dises où sont les corps de ces jeunes filles. C'est la seule raison pour laquelle je suis venu. Dis-moi où sont les... les cadavres ?" Nathan s'enterre littéralement en moi, ses yeux me sondent, et j'ai le sentiment qu'il est dans une dangereuse contré éloignée, quelque part dans mon subconscient, un lieu où je ne veux pas poser un seul pied. Sa folie le dépasse, il n'est plus le même. Après cette immersion dans mon cerveau, il me regarde comme si j'étais stupide.

Il déclare d'une indifférence déconcertante : "les cadavres ? On les a mangés Enra. Je me sentais forcé de te faire goûter. Tu sais bien que je suis généreux." Pas une seconde ne passe, avant que je ne tire la poubelle qui se situe à ma gauche. Je vomis mes tripes dans la boîte à ordures. Je crache une matière visqueuse, je reconnais à peine les spaghettis que j'ai mangés ce midi, ainsi que les céréales de ce matin. Le mélange n'est pas beau à voir. Maintenant il m'est impossible d'interrompre ces vomissements. Le son que provoquent ces remontées ne fait qu'augmenter mon envie pressante de recracher tout le contenu de mon estomac. C'est un cercle vicieux. Je pose mes mains à plat sur la table pour me lever, mais je vois flou, et je sais que dans peu de temps, je ne serai plus consciente. Mes doigts glissent sur l'acier, je n'ai pas la vigueur suffisante pour me rattacher à la table qui me sépare de Nathan. Je vacille, et finis par tomber, la tête atterrissant la première sur le sol.

...

Je plaque ma paume contre mon front en grimaçant de douleur. Une infirmière m'inspecte très rapidement avant de me donner l'autorisation de quitter la prison. Je titube en m'accrochant au mur jusqu'à atteindre la sortie. Ma gorge est sèche et mon œsophage irrité. Je me suis nourri de viande humaine ? Non, je préfère croire qu'il a dit ça pour obtenir cette réaction précise, pour me mettre dans cet état. Je ne veux pas y croire, je ne veux vraiment, vraiment pas y croire. C'est comme si on frappait violemment contre mes tempes. Dès que je prend le volant, je ne pense plus à rien, mes mouvements sont mous et comme programmés.

Une pulsion me pousse à déverrouiller mon portable, et appeler Anderson. J'ai besoin d'en parler, et j'ai le sentiment qu'il est celui qui me comprendra le plus. Puis ce n'est pas comme si j'avais une variété de choix. La sonnerie retentit quelques secondes, puis j'entends la voix à Alan. "Enra ?", j'active le haut-parleur. "Je... euhm... je crois que... Nathan m'a fait manger de la viande humaine, je crois que j'ai mangé de la viande humaine...", je dis complètement déboussolée, d'une voix basse et monotone.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant