Chapitre 51

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Diégo et Léo me regardent tous les deux avec surprise, "c'est vraiment ce qui t'es arrivé ?" J'acquiesce, et le regard de Léo s'adoucit lorsqu'il observe mes mains. "Comment est-ce qu'il a pu te faire ça ? Je pensais qu'il ne s'attaquait pas à toi ?", "il n'en avait juste pas eu l'occasion." Diégo demeure calme et distant, comme à l'accoutumé. Nous sommes autour d'une table, dans leur jardin, en train de siroter un thé. Le soleil a fait son retour, et c'est quand même plus agréable que la pluie. Depuis que j'ai quitté l'hôpital, la météo n'a cessé d'appuyer mon angoisse. Ce vent me fait peur, et je ne ressens strictement aucun sentiment de sécurité ces derniers temps. L'assaillant a été attrapé, mais une sensation étrange me pousse à croire que ce n'est pas fini. Léo me sort de ma rêverie en répétant mon prénom, "désolée...", je chuchote. "Tu vas voir Nathan aujourd'hui, c'est ça ?", "oui, je dois être à la prison dans une heure, je ne tarderais pas à partir." Léo pose sa main sur mon épaule, "je peux t'y accompagner ? Tu ne devrais pas aller le voir seule", "et toi, tu ne devrais pas aller le voir du tout." Nous levons tous les deux le menton vers Diégo qui vient de prendre la parole. Le silence règne un instant puis je balance : "oui, tu te feras plus de mal qu'autre chose en voyant Nathan...", "non non, j'insiste, je viens."

J'accepte malgré moi, parce que j'ai le sentiment que cette rencontre sera désastreuse. Je commence à cerner le "nouveau" Nathan, et je sais qu'il dira où fera forcément des choses qui me blesseront. Tant pis, je suis prête à encaisser quelques mots. J'ai survécu à une foutue tentative de meurtre, sans parler de cette "chasse à l'homme" qui a duré une éternité. Ce n'est pas des paroles blessantes qui me donneront la mort. Les mots sont des mots, et même si les répercussions peuvent peser des tonnes, ils ne sont rien de plus que des mots : des sons qui sortent de nos bouches, puis qui donnent naissance à un message. C'est complètement ridicule de leurs donner tant d'importance, surtout lorsqu'ils viennent de personnes qui veulent nous nuire.

Diégo ne cesse de fixer son frère durant le reste de l'après-midi, mais Léo a beaucoup insisté. Je comprends néanmoins le positionnement de Diégo, il est son petit frère, c'est quasiment par instinct de survie qu'il veut protéger son sang...

Nous quittons la propriété, et on arrive assez rapidement à l'établissement pénitencier. Il me semble que Léo n'est pas censé être autorisé à m'accompagner au parloir, mais dans cette prison toutes les règles sont un peu bafoués. Je lève les yeux vers le mirador, tout en les protégeant des rayons du soleil avec ma main. Nous entrons, on suit les procédures : fouille etc, puis on gagne la fameuse petite pièce. Nous nous installons, j'ai le réflexe d'analyser la pièce, et je trouve toujours cet endroit très morbide. Les murs incarnent la mort, et je ne parviens pas à m'habituer à cette singulière odeur. Ça sent le fer, la rouille, le renfermé et l'humidité. Difficile il m'est de décrire le monde qui m'entoure, je suis comme transporté dans une autre vie. Les murs sont pourtant jaune poussin, c'est quand même une couleur vivante et joyeuse, mais cette fausse gaieté rend les choses d'autant plus malsaines.

Je suis mal à l'aise, et je ne cesse de triturer mes doigts. Dans la majeure partie du temps, je ne réalise pas que Nathan est Orcus. J'ai beau le crier fort en moi, je peine à accepter le fait qu'il soit responsable de tout ça. Je ne veux pas croire que j'ai souffert cette nuit parce que lui l'a décidé, personnellement. Lorsque l'homme m'a étranglé dans mon lit, je me suis vu mourir et j'attendais ma mort arriver. Ce n'est pas quelque chose qu'un humain est censé expérimenté à plusieurs reprises au cours de sa destinée. Combien de fois me suis-je dit "là c'est la fin" en l'espace de quelques mois ? C'est la question que je me pose lorsque Nathan entre dans la pièce, menotté, la tête baissée vers le sol.

Il tire la chaise qui grince énormément, un bruit sourd résonne, et mes doigts dont les jointures sont rougis, tremblotent. Il lève très lentement le regard vers moi, puis vers Léo. Ses yeux passent du noir au blanc, à la vitesse de la lumière. Un grand sourire étire ses lèvres. "Enra et Léo, le retour du beau duo !" Bras et jambe croisés, j'attends le moment opportun pour m'exprimer. Ma bouche ainsi que ma trachée sont asséchés. Je ne sais pas si un quelconque son daignera quitter mes lèvres, j'en doute fortement.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant