Chapitre 32

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Enra a fait de lui un inconnu, elle a eu l'autorisation pour retourner vivre à son domicile, mais elle n'en a pas fait part à Alan. Il l'a apprit en voulant lui rendre visite à l'hôpital, par une aide soignante qui traînait dans les couloirs. Il tenait entre ses mains un nouveau bouquet, mais Peters avait quitté la chambre 243. La joie qu'avait suscitée le premier assemblement de fleur l'avait marqué, Enra paraissant heureuse, malgré le fait qu'elle venait de vivre l'un des pires jours de sa vie. Peut-être que ce geste pourrait la faire sentir mieux une nouvelle fois. C'est un peu maladroit, en plus d'être redondant, mais c'est la seule chose qu'il pense pouvoir faire afin d'améliorer son état.

Après avoir roulé une vingtaine de minutes, les mains serrées sur le volant, Alan se demandait si son idée n'était pas mauvaise. Si elle voulait qu'il vienne, elle lui aurait dit et l'aurait averti de son départ. L'officier place sa fierté de côté pour enfin se décider à lui rendre visite à son domicile. Il traverse la rue, et jette un coup d'œil aux fenêtres de son appartement. La lumière est très faible, et si elle dormait ? Il finit par tapoter légèrement sur sa porte du bout des doigts. L'usage des poings est inutile dans cette situation, ceux-ci lui feront plus peur qu'autre chose.

Après quelques secondes, la poignée bouge et Enra apparaît. Une capuche repose sur sa tête, on aperçoit néanmoins son pansement blanc qui recouvre une partie de son front. Elle nage dans son vêtement, son sweat déborde tellement que ses mains ne sont pas visibles, ensevelit dans ce tissu épais. Elle porte un jogging, et de longues chaussettes multicolores. Enra maintient sa main sur la poignée, attendant patiemment qu'il cesse de la scanner. Les yeux d'Anderson retrouvent après une longue course ceux d'Enra, elle parait épuisée. Des cernes maquillent son visage, et ses joues sont rougies probablement par la chaleur. Il demeure debout, tenant ce ridicule bouquet entre les mains. Comme si une chose si éphémère, dont la durée de vie varie entre 5 et 7 jours pouvait effacer toutes ses souffrances. C'est absurde.

La réalité l'a frappée si brutalement, elle ne mérite pas cela. C'est ce qu'il se dit lorsqu'il lui tend doucement la variété de fleurs qu'il serre entre ses doigts. Elle l'observe sans ne rien dire ni faire. Après une minute à avoir le bras tendu, il se résigne, et abaisse le bouquet. "Je ne peux pas entrer ?" Elle jette un coup d'œil dans son dos, mollement, avant de prononcer à voix basse, "c'est... le bazar." Il hausse les épaules, l'air de dire "je m'en fiche." Elle s'écarte pour le laisser entrer, il se déchausse puis gagne son salon. Alan observe les lieux, en s'éternisant sur chaque détail, il ne peut s'en empêcher. Un énorme plaid est posé sur le canapé, mais la télévision n'est pas allumée, il n'y a aucun téléphone, ni livre, et Enra se tient debout près de sa fenêtre, aussi agitée qu'une statue. Son salon est démuni de toute trace de divertissement, elle ne faisait rien ? Alan comprit que c'était effectivement le cas, ce n'est pas bon signe. Elle n'avait pas l'air de dormir, et elle a ouvert la porte trop rapidement pour ça puisse être le cas. "Qu'est-ce que vous faisiez ?", il demande parce que cette interrogation le pèse. Elle retire le plaid pour lui faire de la place, en disant : "rien de spécial."

Il s'installe sur son canapé, et lui fit signe de s'asseoir. Enra obéit, et regarde ses pieds, ne portant pas grande attention à Anderson. Lui se sentait dépourvu de pouvoir, l'impossibilité d'arranger la situation à son échelle le frustre. "Je vous ai pris des fleurs", comme si elle n'avait pas remarqué qu'il avait amené des fleurs lorsqu'il les lui a tendu, et qu'elle les avait ignoré... Anderson les déposes sur ses cuisses, Enra saisit le bouquet et l'analyse. Il n'arrive pas à distinguer ses émotions, elle est aussi impassible que lui, c'est déconcertant. "Merci, c'est gentil", elle le gratifie sans enthousiasme. Il n'est pas doué pour faire la discussion, pourtant il est certain qu'elle a besoin de parler. Il se lance alors, avec maladresse, "vous semblez fatiguée", elle acquiesce. "Si vous n'avez pas mangé, je peux amener quelque chose", le visage vers ses chaussettes elle dit, "non ça va, merci." Il comprit alors qu'elle était décidée à en dire le moins possible. Sa bouche est scellée, ce n'est pas Enra.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant