Chapitre 30

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Alan respire difficilement, et sa chemise l'étouffe lorsqu'Enra le retient de cette douce manière. Il aimerait rester, plus qu'elle le veut, il aimerait rester jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce qu'elle lui soit réellement insupportable, si cela même est envisageable. Il lui fait face pour la voir, elle sourit, tout en grimaçant : comme si elle venait de faire une énorme bêtise. "Je suis désolée, c'est pas... Laissez tomber. Allez y, et... encore merci !" Anderson lève le menton, lui faisant signe de s'expliquer. À travers ce petit geste d'à peine quelques millimètres, Enra traduit des mots, et finit par exprimer son ressenti. "C'est pas vraiment correct : vous demander de rester, de partir, de rester, puis de ne plus revenir. Je sais que vous avez autre chose à faire de votre temps libre. Vous n'avez pas mangé hein ?" Il dit : "j'ai mangé."

Le mensonge semble beaucoup trop vrai sortie de la bouche d'Alan. "Pourquoi Anderson sauterait-il un repas pour m'amener à manger ?", c'est la question qu'elle se pose, elle n'y trouve aucune réponse alors Enra finit par le croire. Pourquoi ferait-il ça pour elle ? C'est ridicule, surtout qu'il aurait pu manger en même temps qu'elle. L'étrange tension dans la pièce pousse le lieutenant à vouloir quitter les lieux. C'est comme si une mixture collante et imaginaire les amenaient à se rapprocher toujours plus.

"Je ne peux pas rester, on m'attend au poste et... j'ai beaucoup de travail. Je ne suis pas sûr de pouvoir revenir ce soir. Je pourrais passer, mais tardivement." Il ne se pose plus de question, et se contente de faire ce qu'il pense être juste.

Enra sourit doucement, "non, ne revenez pas. Pas besoin. Ça va, merci. Quand vous finirez vos trucs, rentrez chez vous. En plus, je risque de dormir tôt..." Il se frotte les yeux, usé par sa précédente courte nuit. "D'accord, c'est comme vous voulez. Alors je reviens demain, à midi." Enra se sent bête d'être si incohérente avec elle-même, mais elle pas le temps d'y réfléchir, elle se précipite dans ses mots : "demain amenez votre nourriture ici, pour qu'on mange ensemble." Il se demande si c'est de l'ironie. C'est ce qu'elle aime, et parfois, il n'arrive pas à distinguer les deux façons d'interpréter ses mots. De plus, c'est elle qui avait insisté sur le fait qu'elle ne désirait pas manger à ses côtés. Il pourrait le lui faire remarquer, mais il ne veut pas effacer l'expression gai sur son visage. Il bouge la tête de haut en bas, "envoyez moi un message, si vous voulez manger quelque chose en particulier."

"Au revoir", elle dit en serrant ses lèvres l'une contre l'autre, formant l'aube d'un sourire. "Enra", il déclare en baissant le menton, avec respect tout en s'évadant de l'emprise de ses yeux un quart de seconde. Elle l'imite naïvement, puis dit : "Anderson" en souriant toujours plus. Il sort promptement, parce qu'il ne pense pas être capable de rester plus longtemps dans cette pièce, sans la fixer éternellement ou poser ses mains sur elle pour retirer cette frustration qui lui colle à la peau. Son visage s'illumine lorsque son rictus est niais et attendrissant, mais elle est autant douce quand ses lèvres s'étirent de façon sournoise et moqueuse. C'est comme si un éclat de source inconnue émanait d'elle. Il enchaîne les pas rapidement, le poing dans la poche et les sourcils plissés : pourquoi cette image d'elle est si difficile à effacer ? Enra est tout simplement indélébile.

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J'ai l'impression de mourir dans cette chambre, qui s'apparente plus à cage qu'autre chose. Je préfère la petite boite poussiéreuse de Madeleine, ou alors l'appartement de Nathan qui ressemble plus à service psychiatrique qu'à un foyer anodin. Après plusieurs heures, mon frère entre dans la pièce, avec une mine désolé. Nathan se penche pour embrasser ma tête, puis il s'assied au pied du lit. Le matelas se creuse, et je me pousse pour lui laisser davantage d'espace. Il me demande comment ça va, et je dis que tout va bien. Nathan me parle de tout et de rien, mais je vois bien qu'il veut me dire quelque chose qu'il tait tant bien que mal.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant