Chapitre 33

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Sans entrain, je rejoins mon salon, et me faufile sous le plaid. Je ne pense pas à l'incohérence et à la folie des événements passés. Le fait qu'Anderson ait passé la nuit chez moi n'a rien d'extraordinaire avec du recul. La seule chose qui occupe mes pensées est Orcus, cet homme, impitoyable et dangereux qui veut ma peau. Je ne sais pas comment j'ai pu dormir tranquillement jusqu'ici, comment ai-je pu être aveugle à ce point. La cécité m'a séduite, et je l'ai embrassée, ignorant tout le danger qui m'entourait. Je n'arrive pas à oublier toutes ces images que j'ai vues, je ne parviens pas à retomber sous le charme de l'aveuglement de l'esprit, j'aimerai pourtant. Depuis ce moment de réalisation, je n'ai pu vivre. Je me suis contentée d'avoir peur. La frayeur est tout ce qui m'anime en ce moment.

Moi qui me pensais courageuse... C'est seulement que l'histoire a dépassé les bornes, j'ai retrouvé une tête dans un carton à ma porte, c'est digne des cartels de Medellin, en 1980, lorsque Pablo Escobar était à son apogée. Comment ce genre de chose peut exister en France ? Qui plus est dans ma petite ville. Des frissons me poussent à serrer davantage le plaide contre moi, je suis engloutie par ce tas de tissu. La mort arrive, et je la sens, qui me guette constamment. J'ai envie de me rendre, ou alors de fuir le continent, parce que je ne supporterai pas de vivre dans la terreur encore longtemps. Je dors à peine, et mange peu. L'énorme sphère que mon ventre contient m'empêche de gober de la nourriture, même si cette boule n'est que le fruit d'une illusion.

Les heures, les minutes, et les secondes défilent. Je reste là, assise sur mon canapé à contempler la beauté du vide, ou la laideur, peu importe. Ça m'embête, d'être incapable de penser à autre chose. Ces pensées me pèsent tellement que même mes films préférés n'ont pas l'intégralité de mon attention. Je suis noyée des paroles du lieutenant Anderson, qui me décrit les crimes d'Orcus, qui me montre ces photographies... Sans parler des lettres qu'il a déposées dans ma boite aux lettres... Ces informations alimentent ma peur, et m'empêchent de faire quoi que ce soit d'autre de ma vie.

J'ai dit "non", lorsque Meriem m'a demandé si elle pouvait me rendre visite. Je refuse catégoriquement sa présence dans mon appartement, je ne veux surtout pas qu'elle soit mêler à tout cela, elle sera trop touchée, elle a suffisamment à faire dans sa vie. Mon frère quant à lui m'a demandé si ça allait, j'ai répondu que oui, puis il s'en est allé, avec un baiser sur le front. Il n'a pas beaucoup insisté : c'est ce que j'ai raconté à Alan. La vérité, c'est qu'il n'a pas du tout insisté. J'étais seulement trop honteuse pour dire que mon frère n'en a rien à carrer de moi. J'ai pourtant passé plusieurs nuits chez lui, quand il allait mal. Je ne comprends pas pourquoi l'inverse est impossible.

Orcus me tuera dans peu de temps, je suis une cible plus que facile. Je sursaute à la moindre résonnance, et tremble lorsque des pas frappent le carrelage des marches d'escalier.

On frappe légèrement contre la porte, comme hier. Je vérifie que c'est bien Anderson avant d'ouvrir. Il me regarde d'un œil étrange, et m'analyse de la tête au pied, comme à chaque fois qu'il me voit. "On va prendre l'air ?" Je croise les bras, "non merci, j'ai pas vraiment envie de sortir. Vous êtes venu pour ça ?", "oui, mais c'est pas grave. On peut se contenter de rester ici." J'inspire longuement, sa présence me rassure énormément, mais j'ai l'impression de profiter de la situation, c'est la raison pour laquelle je ne l'ai toujours pas invité à entrer. "Vous... avez finit le travail ?", il acquiesce et finit par me demander : "rien de spécial aujourd'hui ?", je hausse les épaules mollement.

"Vous ne voulez pas me laisser entrer ?", "c'est seulement que... vous devriez rentrer chez vous. Vous ne pouvez pas passer le restant de vos jours chez moi..." Il fait un pas en avant, "habillez vous, vous allez faire une dépression si vous continuez à vous enfermer. Ou alors sortez comme ça, votre pyjama n'est pas pire que vos vêtements." Il sourit, et je l'imite bêtement.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant