Chapitre 15

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L'homme du supermarché a été retrouvé. Il est assit sur la chaise, en train de décortiquer les éléments qui l'entourent : pas grand chose. Les murs sont d'un gris terne, une couleur semblable aux tombes, elle n'évoque rien de rassurant. La chaise est bancale, ainsi que la table. Le confort n'est pas le point fort de cette salle d'interrogatoire. Les néons blancs piquent douloureusement, lorsqu'on y laisse nos pupilles trop longtemps. Un environnement parfait pour les pourritures qui se font interroger. Les lumières donnent l'envie irrépressible de quitter les lieux, on pourrait dire n'importe quoi pour fuir de ce trou.

Anderson est en ce moment même en train d'interroger le suspect. Ses deux mains sont fermement posées sur la meuble qui le sépare du présumé coupable. L'homme est exactement comme Enra l'avait décrit. Alan ne quitte pas son interlocuteur du regard, "pourquoi vous la suiviez, si ce n'était pas pour la kidnapper ?" Le suspect, débute son récit, confus : "je la trouvais particulièrement jolie, alors je la suivais pour pouvoir l'aborder. Puis j'ai reçu un coup de fil de l'infirmière à domicile qui prend en charge ma mère. Elle m'apprend qu'elle a fait un énième AVC... À ce moment là, j'ai couru jusqu'à la sortie de secours, vous l'avez vu sur les caméras ça. Je n'ai rien fait de mal, j'ai laissé mes courses au magasin. Et cette femme je ne lui ai strictement rien fait, je ne comprends pas pourquoi vous me parlez de séquestration, elle a été séquestrée ? Vous la recherchez ? C'est ça ?", il dit en fixant intensément le lieutenant Berquin, espérant avoir une réponse de sa part.

Anderson s'assied sur la chaise face à lui de façon impénétrable : "vous nous ferez parvenir les coordonnées de l'infirmière, et votre portable, qu'on puisse vérifier votre version. Et si ça concorde, nous vous relâcherons. Quant à la femme, elle va bien", il acquiesce puis l'interroge une nouvelle fois : "Vous... avez son numéro ? Peut-être que je pourrais..." Anderson le coupe, d'une voix sèche, "non. C'est pas meetic ici, et elle n'est pas intéressée par vous." Alan n'arrivait pas à croire qu'il ait eu le culot de demander son numéro, Berquin poursuit l'entretien tandis qu'Anderson rejoint la salle de pause. Il se prépare un thé, en checkant ses messages. Cela fait trois jours qu'elle ne l'a pas contacté. Il jette un coup d'œil à l'horloge : 11h43, elle envoi toujours son message dans les alentours de 11h. Il reste scotché à son écran, quand s'affiche cette même petite bulle : "bonjour, toujours en vie." C'est tout, elle se contentait du strict minimum : pas vraiment surprenant. Alan profite du fait qu'elle vienne d'envoyer le message pour l'appeler.

Plusieurs interminables bips se succèdent, puis ils sont remplacés par un grand vide. "Allo", Enra prononce doucement, de la façon la plus neutre possible. Alan fut troublé de l'entendre aussi nettement, sa voix est plus claire que dans ses souvenirs. "Bonjour Peters, nous avons retrouvé l'homme qui vous suivait dans le supermarché, on ne pourra pas le retenir au poste très longtemps. Il faudrait que vous veniez dans la journée, pour l'identifier." Enra est à la fenêtre de Madeleine, en train d'apprécier les nuages cendrés qui se promènent dans le ciel. Une centaine d'interrogations la démange, mais elle doit rester très brève et concise. "Je serai là dans 2 heures", Alan ne pensait pas qu'elle serait capable d'avoir un tel self-control. "C'est tout ??", il songea. "Alors à tout à l'heure", "à tout à l'heure", elle dit par automatisme, comme un robot. Elle n'a pas demandé s'il était Orcus, comment peut-on feindre l'indifférence à ce point ? Enra est devenue comme les autres humains : plate et vide. Mais ce n'est qu'une carapace, enfin, il l'espère.

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Les deux heures sont passées, et désormais, je dois quitter ma Clio pour vivre ce calvaire. Il y aura probablement Anderson et Orcus dans la même pièce. C'est un cauchemar qui se réalise. J'avance à reculons jusqu'au poste de police. Je pose un pied devant l'autre, en espérant de tout mon cœur que ce moment ne soit pas interminable. Mon pull orange me parait soudainement trop étroit, c'est comme s'il comprimait ma poitrine. J'inhale, de façon à me sentir un peu mieux, en vain. Aujourd'hui le vent est presque absent, les seuls cris que j'entends sont à l'intérieur de ma tête. Ma propre voix me hurle de m'en aller, elle me dit que ce sera trop douloureux. Mais je suis maintenant dans la salle d'attente, je ne peux plus faire marche arrière.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant