Chapitre 57 - Matthias

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La musique me transporte et m'emmène dans un monde inconnu et malgré tout, je ne ressens aucune peur. Chaque note de musique me décrit un paysage et chaque vibration porte mes pas jusqu'à un autre endroit. Ce monde paraît si simple et reposant. Je le laisse s'imprégner de moi et je m'imprègne de lui. Je sens tous mes membres se fondre dans l'immense vague d'écho et je divague avec lui. Je ne me souviens pas depuis combien de temps je n'ai pas divagué autant, mais ça fait du bien. Je sens mes paupières devenir lourdes, alors je les ferme et me laisse bercer par la mélodie.

Mes doigts frôlent les touches dans une lente caresse et mon corps bouge au grès des notes. Le son qui se dégage du piano se fracasse contre les murs de la pièce et vient rebondir droit dans mon cœur. Les sensations sont incroyables et vibrantes. Je sens mon cœur exploser en même temps que l'aire de la musique s'accentue.

Dans ce simple bout de musique, je raconte une histoire. Celle d'un homme, seul, pauvre et démuni qui trouve la foi dans la seule chose qu'il aime. Cette chose lui donne la force d'avancer dans les chemins obscurs et de faire face au néant. Il a le courage de vivre grâce à cette chose et à mesure que l'aire s'amplifie, la chose se transforme et l'homme aussi.

Je ne sais pas qui est cet homme, mais tout ce que je sais, c'est que je l'envie, lui et cette chose qui l'accompagne au quotidien et qui ne le lâche pas. J'aimerais trouver cette force qui me pousse. Intérieurement, je sais que cette force, je l'ai. Mais je me force à le nier, parce que je sais qu'un jour, je ne l'aurais plus. Je ne pourrais jamais garder ce pouvoir pour moi tout seul. Un jour, on me la prendra et je me retrouverais seul, pauvre et démuni, comme cet homme.

À mesure que la musique avance, l'histoire continue et les paysages changent autour de moi. Je vois l'été, je vois l'automne et soudainement, un tapis de neige vient immaculé le paysage. Bizarrement, je ne ressens pas la morsure du froid. Au contraire, l'air autour de moi se réchauffe, comme si quelqu'un essayer de souffler de la fumée sur moi. L'air de ma chambre se dégrade dans une épaisse fumée et je commence à me débattre dans mes vêtements. Mes épaisses tuniques m'étouffent et je me défais de mes couches bouffantes, coupant mes doigts des touches. Seule ma chemise entrouverte et un simple pantalon continuent de me caresser la peau. Sans ces lourds vêtements, je me sens nue et faible. La musique reprend sans faille et l'histoire continue. Je ne sais pas combien de temps elle va durer, mais j'espère une éternité.

Les notes continuent de danser autour de moi et je sens que mes bras fatiguent. J'ai besoin de reposer mon corps, mais je veux que les notes continuent de danser autour de moi. Ça fait bien trop longtemps que je n'ai pas joué et je sens que j'ai perdu cette vigueur d'autrefois.

Le rythme de la musique s'intensifie encore, mais un grincement aigu de porte me coupe dans mon élan et mes doigts viennent briser le son mélodieux. Violemment, je me retourne et fais face à une personne dont le visage est plongé dans le noir. Je suis incapable de déterminer avec précision l'identité de cette personne, pourtant, quelque chose me dit que ça ne va pas. Cette personne chancelle sur ses deux pieds et je peux ressentir une profonde détresse dans ses mouvements. La personne se tient du mieux qu'elle peut à la porte et je sens qu'elle tente de me parler. Sa voix est tremblante et inaudible, mais dans toute cette détresse, je peux entendre ce seul mot qui me chamboule.

" Matthias... "

Sa petite voix me fait l'effet d'une bombe qui explose droit dans mon cœur. Ma gorge se noue et mon corps s'immobilise durant un seul instant qui me semble duré une éternité. Je la vois chanceler sur ses pieds et je crois comprendre qu'elle veut s'approcher de moi, cependant, ses jambes ne supportent pas la charge et lâche à la dernière seconde. Il ne m'en faut pas plus pour rattraper son petit corps et tenter de la tenir droite. Son corps s'abandonne sur moi et je peux la sentir trembler. Le peu de tissu qui l'entoure donne au froid une proie facile. Du mieux que je peux, je l'entoure pour la réchauffer et la maintenir contre moi. J'avais tellement besoin de sentir sa présence, après tout ce temps.

Sa Majesté d'Éronde [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant