Chapitre 85 - Praline

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Son arrivée m'a bouleversé, autant que son départ. L'air autour de moi est infect et je me sens étouffée. Pourquoi est-il venu ? Il a pris la peine de quitter son château, de prendre des risques sur les routes et de venir jusqu'à moi. Moi qui pensais qu'il m'avait oublié, je me suis trompée sur toute la ligne.

Le voir m'a fait tellement de bien, je me suis sentie revivre de l'intérieur, pourtant, ça m'a aussi détruite. Parce que comme ça s'est passé, il est reparti, seul et triste et je sais que c'est de ma faute. Je l'ai encore repoussé, alors qu'il ne venait que pour moi, mais comment aurais-je pu faire autrement ? Il le savait. Il savait que je ne rentrerais pas tant que ma famille n'irait pas mieux, mais j'imagine que je ne rentrerais pas avant un bout de temps, ou peut-être même jamais et c'est ce qui est le plus douloureux. Peut-être qu'il l'avait senti et qu'il est venu juste pour me dire adieu ? Je ne sais pas. Mais tout ce qu'il a fait pour moi, pour me récupérer me fait tellement de bien. Je me dis que je compte bien plus à ses yeux, que ce que j'aurais imaginé.

- " Mon enfant, est-ce que tu vas bien ? "

Je me retourne et observe ma mère, mais mes larmes me brouillent la vue. D'un geste rapide, je les essuie et feins d'être normale.

- " Oui, maman. As-tu besoin de quelque chose ? Je vais te le préparer. "

Je me dirige vers la cuisine, priant pour que mon comportement soit crédible.

- " Minute, ma chérie. "

Je m'arrête à quelques pas derrière elle, mais continue de rester dos à elle.

- " Que s'est-il passé, ma chérie ? "

- " Rien, maman. Rien qui ne mérite qu'on y porte plus d'attention. "

- " Praline, je ne veux pas savoir ce qu'il s'est passé dehors, mais ce qu'il s'est réellement passé, depuis que tu as quitté la maison. "

- " Depuis que j'ai quitté ? Il n'y a rien a raconté. "

- " Alors pourquoi le roi est venu jusqu'ici ?

- " Le roi voulait juste me parler, c'est tout. "

- " Je suis sûre qu'il y a bien plus à raconter que ce que tu me racontes. Pour que le roi en personne vienne jusque chez nous, pour "simplement" te parler, je crois qu'il s'est bel et bien passé quelque chose. Et surtout, pour que ça te mette dans cet état. "

- " Il n'y a rien à dire, maman. Je ne veux pas en parler. "

- " Ma chérie, tu ne dois pas garder ça pour toi toute seule. Parle-moi, tu peux tout me dire. Sois sans crainte. "

- " Je... Je ne peux pas. Je suis désolée, maman. Il y a trop de choses en jeu. "

- " Ma petite fille... "

Elle s'approche de moi et me tend ses bras. Sans hésiter, je m'y engouffre avant de fondre en larmes. Elle doit bien se douter de quelque chose, c'est certain.

- " Mon petit bébé. "

- " Je ne suis plus un bébé, maman. "

Je proteste dans ses bras, mais elle resserre sa prise. Je ricane et me loge mieux auprès d'elle. Même si elle est fragile et faible, je peux sentir son cœur battre avec force. Elle se bat pour vivre et ça me donne la force de continuer pour elle. Ça me conforte malgré tout dans les choix que j'ai fait. Je ne fais pas ça pour rien. Je ne mets pas mon amour en sourdine pour rien.

- " Es-tu amoureuse du roi ? "

Sa question me surprend et me glace la peau. Un frisson intense me parcourt le bas du dos et remonte droit dans mon cerveau. Je prends plusieurs secondes avant de réagir et m'écarte de ses bras. Je fixe ses yeux et entrouvre la bouche. Je ne sais pas quoi répondre à ça, mais elle s'en charge à ma place.

- " Tu sais, j'ai remarqué ta tristesse depuis que tu es revenue. Tu n'es plus la même qu'avant ton grand départ. Quelque chose en toi avait disparu. Quelque chose que je crois avoir été volé par le roi. C'est lui, n'est-ce pas ? C'est bien lui qui t'a volé ton cœur ? "

Elle tend la main vers ma joue inondée.

- " J'ai vu le regard que tu avais pour lui. Même si tu étais surprise, il y a eu une minuscule étincelle de bonheur et de soulagement dans ton regard. Comme si tu étais heureuse de le voir venir pour toi. C'est bien ce qu'il s'est passé ? Il est venu pour te récupérer ? "

Je ne réponds rien. Elle le sait déjà.

- " Pourquoi n'es-tu pas parti avec lui, chérie ? "

- " Parce que je suis là pour vous. Je dois m'occuper de vous. Et puis, il m'a libéré, je ne suis plus à son service. "

- " L'as-tu seulement était une fois ? N'était-ce pas plutôt un prétexte pour te garder auprès de lui ? "

Elle sourit devant mes joues rougies. Je baisse les yeux, honteuse d'imaginer que ma mère comprend tout.

- " Comme je suis fière de toi, ma chérie. Tu es ma plus grande fierté. Mais tu ne dois pas gâcher ton bonheur pour nous. Tu dois vivre ta vie, comme tu le veux, et non pour d'autres. Et encore moins pour nous. Ton père et moi, sommes capables de vivre. "

- " Non, c'est faux. Papa est fatigué et toi, tu es malade. Sans compter les enfants qui sont malades, eux aussi. Je dois vous aider, vous êtes ma famille. Et c'est ce que le roi n'a pas voulu comprendre. Il voulait me garder auprès de lui, mais vous êtes bien plus important que ma vie au château. "

- " Mon enfant, tu n'as pas à faire ça pour nous. C'est aux parents d'aider leurs enfants, et non l'inverse. Ton père et moi, sommes navrés de n'avoir jamais pu vous offrir une belle vie, riche et sans tracas, mais nous avons toujours étaient là pour vous et ça ne changera pas. Tu ne dois pas sacrifier ta vie pour nous. Jamais. "

- " De toute façon, c'est trop tard. Le roi est parti et je ne suis plus à son service. J'ai tout mon temps pour vous, comme avant. Nous pouvons redevenir une famille, comme avant. "

- " Mais ce n'est pas ce que ton cœur souhaite, n'est-ce pas ? "

- " Mon cœur sera comblé, quand vous serez sauvé. Le reste, n'a plus d'importance. "

Sur ces paroles, je m'éloigne de ma mère. Je m'en veux de me comporter de cette façon envers elle. Elle a toujours fait passer ses besoins en dernier pour s'occuper de nous et nous aimer plus que tout, alors c'est à mon tour de le faire. Même si ça veut dire faire une croix sur Matthias.

En entrant dans la cuisine, j'aperçois mon père qui me regarde, perplexe. Je ne sais pas ce qu'il a entendu de la conversation, mais d'un geste, je lui fais comprendre qu'il n'y aura plus aucun mot à ce sujet. Las, je retourne à mes occupations.

Le froid me mord la peau, mais j'y fais vite abstraction. Dehors, là où Matthias et moi, nous sommes confrontés, se tient le seau que je tentais d'emmener au cheval un peu plus tôt. Je m'approche du seau, qui, il y a une heure était renversé sur le sol gelé, et qui maintenant, se tient debout, avec une rose épinglée dessus.

Sans m'en rendre compte, mes larmes s'étaient de nouveau frayé un chemin sur mes joues et je sentais soudainement, un sentiment de brisure dans mon cœur.



Luv,

May.

Sa Majesté d'Éronde [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant