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- " Praline, mon enfant. Que s'est-il passé ? "
J'hésite. Faut-il que je lui en parle ? Je ne me sens pas capable d'en parler sans lâcher une seule larme. J'ai déjà beaucoup trop de mal à les retenir, je crains de craquer encore plus si j'ouvre la bouche.
- " Praline, tu es restée silencieuse depuis que nous sommes partis. Je suis inquiet, parle-moi. Tu peux tout me dire, tu le sais ? "
- " Oui, papa, je le sais, mais je crains de ne pouvoir t'en parler aussi facilement. "
- " Est-ce à cause du roi ? T'a-t-il fait du mal ? "
- " Oui. Non. Je ne sais pas. "
- " Mon enfant, ralentis un peu. Tu vas te blesser. "
Cela fait plus de trois heures que l'on marche. Notre village apparaît tranquillement dans le paysage, mais je commence à fatiguer. Mes jambes ne me portent plus correctement et il faut dire que je ne suis toujours pas guérie. Depuis qu'on a fui le château, je n'ai pas arrêté de me torturer l'esprit. Évidemment, il n'y a que lui qui tourne en boucle dans ma tête.
Est-ce qu'il pense à moi, à cette heure-ci ? Est-il déjà au courant que je suis partie ? M'en veut-il ? Va-t-il me pardonner un jour ? Voudra-t-il me revoir ou me chercher ?
Tant de questions qui me brûlent de fatigue, sans compter le chemin neigeux impraticable. Je crains aussi pour mon père et Robert. Je les ai embarqués dans ce périple, sans leur laisser la moindre chance de s'y préparer. Ils ont à peine eux le temps de se préparer, que je les ai poussés vers la sortie. Et s'ils tombaient malades, eux aussi ? Qu'est-ce qu'il m'a pris. Je ne peux m'empêcher de penser qu'ils auraient été plus en sécurité dans le château. Je sais que le chemin vers la maison est dangereux. Quelqu'un peut nous tomber dessus à tout moment. Même si ça fait plusieurs mois que je n'ai pas mis les pieds dehors, je connais la vie en dehors du château et je sais que c'est risqué de sortir en plein hiver, vêtu légèrement, mais avec des vêtements plus dignes que ceux de pauvres paysans.
Mes pensées bifurquent soudainement vers Mirela. Je l'ai laissé derrière moi, sans un mot. J'ai délégué cette tâche ingrate à Matthias, mais je sais que je n'aurais jamais pu la quitter en la regardant dans les yeux. Mon cœur bat faiblement et mes jambes flageolent. Je trébuche sur ce que je pense être une racine et me prends le sol glacé en plein visage. Le coup de froid me ramène violemment à la réalité, mais l'air glacé me coupe la respiration. Je tente de me relever avec le peu de force qu'il me reste, mais l'air qui s'échappe de mes poumons me cloue sur place. Je suffoque et gèle sur place. J'entends plus loin, les bruits de pas affolés de mon père, qui tente de me relever, mais portant Robert sur son dos, je sais que nous n'y arriverons pas. Je laisse finalement mes larmes rouler sur mes joues et m'abandonne à mon sort.
J'immobilise mon corps dans le banc de neige et attends patiemment que mon heure arrive. Je n'ai plus la force d'avancer ou même de me regarder dans un miroir. Je dois être affreuse et je serais certaine d'y voir le monstre que je suis. Mon père continue de me secouer dans tous les sens pour me relever, mais je ne bouge toujours pas. Je n'en ai pas envie, pourtant, la petite voix de Robert, qui me supplie de me relever, me donne un peu d'espoir. Je ne peux pas les abandonner ici, pas après tout ça. Pas après le sacrifice que je viens de faire. Quitte à avoir trahi ceux que j'aime, autant que je le fasse bien et jusqu'au bout.
Je pousse sur mes mains et m'appuie sur tout ce que je peux pour me redresser. La neige et la transpiration se collent à mes robes, ce qui rend mes mouvements lourds et peu délicat, mais je m'en fiche. La beauté et la grâce n'ont plus leur place dans le monde dans lequel je vis. Mes bottes se remplissent de neige et me glacent le bout de mes pieds. Je meurs de froid, mais je continue d'avancer, en silence. Derrière moi, je sens le regard désolé de mon père. Ce n'est pas lui qui devrait me regarder comme ça. Je ne mérite pas ce regard. C'est lui. C'est de ma faute tout ce qui lui arrive. Je me sens tellement coupable. Mes larmes continuent de déferler sur mes joues, mais au contact du froid, je les sens se cristalliser. Mon visage est crispé, rouge et brûlé.
J'ai du mal à avancer et plus le temps passe, plus j'ai l'impression que le village recule. Je n'arrive même plus à distinguer les petites lumières des lanternes. La nuit continue de régner et nous avançons dans le noir. Chaque pas est un perpétuel danger. De temps en temps, j'essaye de me retourner pour voir si mon père me suit toujours et parfois, mon cœur rate ses battements quand je me rends compte que personne ne me suit. La panique m'envahit, mais s'en va dès que j'entends ses bruits de pas venir à moi.
Nous avons décidé de chacun porter un poids lourd. Moi, je porte les bagages, tandis qu'il porte Robert sur son dos et à la mi-chemin, nous inverserons. Le plus important, c'est de se tenir le plus au chaud possible, même si c'est plutôt raté dans notre cas.
- " Papa... Veux-tu échanger ? Laisse-moi porter Robert. "
- " Tout va bien, mon enfant. Continuons d'avancer. Nous pouvons y arriver avant l'aube. "
Je hoche la tête, même si je sais qu'il ne me voit pas. La pauvre petite lanterne que nous avons volée au château nous a lâché peu de temps après le château. Depuis, nous sommes plongés dans le noir complet, dérivant comme nous pouvons vers le village.
Notre village n'est pas très grand, mais il est quand même chaleureux. Malgré les multiples vols, nous savions nous entraider. En espérant que ce soit toujours le cas. À à peine deux heures de marche - en été - il était fréquent que des nobles passent par notre village pour se rendre plus proche du château et quand cela arrivait, nous espérions toujours avoir un peu de nourriture de leurs parts, mais c'était toujours une déception et la plupart du temps, ça finissait en cambriolage. Les nobles finissaient dépouiller et pour le peu qui s'en échappait, ils se faisaient courser, jusqu'à épuisement. Beaucoup de villageois se faisaient massacrer à ces moments-là, car les nobles étaient souvent accompagnés de gardes.
Je me souviens, quand j'étais petite, je voyais la ribambelle de nobles qui circulaient, dans leur humble carrosse, tiré par de magnifiques chevaux et dans ces carrosses, il y avait toujours plusieurs enfants qui regardaient la scène qui se jouait devant eux. Ils rigolaient devant nos familles tabassées. Jamais, ils nous ont souri tendrement et sincèrement. Nous étions leurs attractions, du bétail, bon pour la potence. Je les soupçonnais même de faire exprès de nous embrouiller pour que nous nous entretuions.
Le souvenir douloureux de leurs regards fait monter en moi un sentiment de haine profond. Comment pouvaient-ils nous traiter ainsi, nous qui avions déjà si peu ? Nous étions si fragiles, mais eux, ils nous brisaient encore plus. Ils nous enterraient vivants dans nos tombes, nous forçant à les creuser nous-même, à même le sol de notre agriculture peu florissante.
Mon sentiment de culpabilité commence à s'effacer. Après tout, rien n'a changé depuis que je suis partie. Le monde reste le même. Matthias m'a juste fait découvrir un monde que nous ne pourrons jamais nous permettre de rêver. Mon cœur se serre violemment quand je pense à tout ça. Bien sûr, j'aime Matthias comme je n'ai jamais aimé quelqu'un. Il m'a aimé, à son tour et il m'a accepté, malgré sa haine envers nous, mais en dehors de ce monde parfait, le peuple continue de souffrir. Mon peuple, mon village, ma famille continuent de souffrir. Alors, si Matthias ne peut rien faire pour y remédier, moi, je ferrais ce qu'il faudra.
Pardonne-moi, Matthias, mais je suis la seule qui pourra sauver ma famille. Et si ce n'est pas le cas, alors je coulerai avec eux.
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Luv,
May.
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Sa Majesté d'Éronde [Tome 1]
RomanceLe pays d'Éronde est gouverné par un roi tyrannique, qui laisse derrière lui un pays endommagé par la pauvreté. Depuis bien trop longtemps, le peuple d'Éronde va mal, et les révoltes sont de plus en plus présentes. Et malheureusement, pour survivre...