Chapitre 4 - Matthias

153 5 0
                                    


Les portes s'ouvrirent enfin devant moi. Je n'eus même pas le temps de rentrer que je fus assiégé par des érondiens en panique. Je ne comprends même pas la moitié de ce que me disaient ces hommes et femmes. 

- " Il suffit ! " Criais-je. 

Le silence se réinstalla dans la pièce. Je pus enfin me diriger vers mon large trône en acier. Assis, je me rends compte que j'avais oublié cette paysanne. Toujours soutenue par mon garde, elle tremblait. Beaucoup. Le coup de pied qu'elle s'est pris aux cachots ne l'aide aucunement à garder ses forces. 

- " Vous devrez désormais vous placer à ma droite, que je sois assis ou debout. Évidemment, je vous interdis de vous adresser à moi, sans ma permission. Vous devrez répondre à tous mes désirs. C'est clair ? " Je m'adresse à elle sans même la regarder. 

- " Oui, Votre Majesté. " 

Sa voix est douce, bien que fatiguée et tremblante. Elle se place alors à la droite du trône. Je la sens gesticuler, mal à l'aise. 

Je ne m'attarde plus sur elle, et me concentre sur cette foule de paysans qui s'articule dans toute la pièce. Je permets alors à un paysan de s'exprimer. 

- " Votre Majesté. Nous vous implorons, de grâce, aidez nous. Un groupe de paysans voisins se sont approchés de nos terres... Ils nous volent, nous pillent et tuent ceux qui se mettent en travers de leurs chemins. Nous ne savons pas quoi faire, nous sommes trop faibles. Aidez-nous, par pitié. " 

Bien que cette situation est triste, je ne me sens pas pour le moins intéressé. 

- " Et que croyez-vous que je puisse faire pour vous aider ? Je ne suis pas un dieu ! Je n'ai guère de temps pour vos querelles de pommes de terre ! " 

- " Mais Votre Majesté..."

- " Silence ! J'ai dit ce que j'avais à dire. Cette affaire est réglée. Partez maintenant, ou vous aurez bien plus de problèmes. " 

Je laissais à ces paysans la chance de partir maintenant, avant de les punir pour cette perte de temps. J'ai bien plus à faire que régler ses broutilles. Peut-être ne le savaient ils point, mais le pays est en guerre. Et pas simplement une guerre de légumes ; mais une guerre de pouvoir, bien plus sanglante et dévastatrice. 

Lassé, je me laisse glisser le long de mon trône. C'est tous les jours pareils. Soudain, une idée me traversa l'esprit. J'avais envie de m'amuser. Et quoi de mieux pour s'amuser qu'une jeune fille perdue ? Je me tournais alors vers la paysanne. Quel est son nom déjà ? Pistache ? Noisette ? Cacahuète ?

- " Cacahuète ! " Je la vois sursauter à l'entente de son prénom. " J'ai soif. Apportez-moi du vin. Et du fromage aussi. Et vite. " 

Je vois son visage se décomposer pendant que je lui ordonne ces mets. Je sais plus que quiconque qu'elle ne connaît rien du château. Je m'amuse d'avance à la savoir perdue dans les couloirs. Je la vois hésiter, puis se diriger vers les doubles portes. Les gardes la dévisagent. Il faut dire qu'elle fait la moitié de la taille de ces gardes. Doucement, elle entreprend le long voyage vers les cuisines. Elles sont situées dans l'aile Est du château. Là où tous les domestiques vivent. J'ai eu la gentillesse de laisser mes employés abriter dans le palais. Le seul acte de bonté que j'ai eu dans la vie. C'est une chose que j'ai apprise de mon père. Il était le meilleur roi que le peuple ait pu connaître. Sa bonté n'avait pas d'égal et il aimait son peuple comme ses propres enfants. À sa mort, je n'ai pas su reprendre le flambeau comme il l'aurait voulu. Son assassinat m'a détruit au plus profond de moi. J'ai haï chaque personne autour de moi ce jour-là. 

Il était comme tout enfant, mon héros. Mon seul et unique héros. 

Quand ma mère est morte, il a été le seul à me soutenir. Étant le plus vieux de mes frères et sœurs, je comprenais plus que les autres ce qu'était la mort. Je savais que ma mère ne reviendrait pas. C'était dur à supporter, mais il était là pour moi. Et quand ce fut à son tour, plus personne n'était là pour moi. Et malgré mon jeune âge, j'ai repris les commandes du royaume d'Éronde. Je n'étais pas prêt. J'avais peur et j'étais stupide. J'ai écouté bons nombres de conseillers qui m'ont guidé, détruit et utilisé. Quand j'ai fini par le comprendre, j'ai renvoyé ces hommes. Je me suis endurci. Je suis devenu cet homme que le pays déteste. 

Je me dirige à mon tour vers les doubles portes, pour essayer d'espionner la paysanne. Je n'eus aucun mal à la trouver. Je me cache légèrement derrière elle. Elle longe les murs à la recherche d'une pièce qui pourrait contenir des cuisines. Je la vois hésiter, et quand enfin une domestique passe à côté d'elle, elle lui demande la direction des cuisines. 

Après dix minutes de recherches, elle se dirige vers les longues portes qui donnent sur le jardin. Ces jardins sont en quelques sortes mon lieu de paix. Je ne laisse personne y entrer. C'est pourquoi, dès qu'elle s'y approche, j'accours vers elle et lui bloque la main. Elle se gèle à mon contact. Je suis moi-même surpris d'avoir osé ce contact. Elle se détache rapidement de ma main. Sans le vouloir, mon regard se durcit. Je vois de la peur dans le regard de la jeune fille. Elle bafoue quelques mots que je n'arrive pas à distinguer. 

- " Par-Pardonnez moi Majesté. Je-Je n'ai pas réussi à tr-trouver les cuisines. " 

Ses excuses ne me font rien. Je ne ressens rien en ce moment. Je veux juste qu'elle parte. J'aurais voulu qu'elle ne découvre jamais ces portes. 

- " La prochaine fois que je vous vois près de ces portes, je vous fais pendre sur place. C'est compris ? "

Je la vois commencer à trembler de plus belle. Elle m'énerve de trembler tout le temps. 

- " Maintenant, suivez-moi, je vais vous indiquer les cuisines. Ce sera la seule fois, alors retenez bien le chemin. Je ne veux aucun retard de votre part. " 

Je repars dans le sens inverse, puis bifurque vers la droite, monte les escaliers, et continue vers les cuisines. Je connais mon château comme ma poche. Pendant des années, quand j'étais petit, je m'amusais à fuir les domestiques qui me couraient après dans tous les sens. Parfois, c'était ma mère qui me courait après. À chaque fois que je faisais des bêtises, elle me courait après pour m'enfermer dans ma chambre. C'est durant un jour comme celui-là, après une grosse dispute avec Lücas, mon petit frère, que je me suis retrouvé dans les jardins. J'avais passé ses grandes portes et ai découvert un jardin d'une immense beauté. Il neigeait ce jour-là et je n'étais vêtue que de peu de vêtements, mais je me sentais au chaud dans ce lieu. J'ai su alors que je serais toujours heureux et en paix dans cet endroit. Je me suis mis à m'occuper de cet endroit comme on s'occupe d'un enfant. C'était devenu mon enfant. Je ne permettais pas qu'on aille dans les jardins. Ma mère me retrouvait toujours là quand je n'allais pas bien. À sa mort, j'y allais presque tous les jours et je m'endormais dans les buissons. Aujourd'hui, j'y passe toujours une heure ou plus dans ces jardins. 

J'entends toujours la paysanne marcher dans mon dos. Je sais qu'elle a du mal à suivre le rythme. Je suis bien plus grand qu'elle, et je sais qu'elle souffre encore de ces derniers jours, et je me surprends à ralentir le pas pour elle. Qu'est-ce qu'il me prends ? 

Nous arrivons enfin devant l'arche des cuisines. Plusieurs domestiques s'affairent à faire à manger. Il sera bientôt midi, je le sens à l'odeur qui se dégage des fours. Je ne connais pas de meilleur repas que ceux des cuisinières d'Éronde. Je laisse la jeune fille rentrer et la vois renifler à pleins poumons les odeurs des viandes. Se rappelant soudainement de ma présence, elle se dirige alors vers le plat qui contient tous les fromages et le pichet de vin. Ses mains se mettent à trembler, et elle laisse malheureusement échapper les plateaux sur le sol. 


✰ 

Chapitre avec point de vue du roi. Vous aimez ? :)

Luv, 

May. 


Sa Majesté d'Éronde [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant