Chapitre 65 - Matthias

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Cinq minutes.

Dix minutes.

Une heure.

La porte s'ouvre et Patrich s'avance lentement. Quand il me voit, il se courbe légèrement et je me redresse pour lui faire face. Bien que je sois roi, je me sens petit et impuissant à côté de lui. Peut-être est-ce parce que c'est le père de ma douce. Je ne sais pas.

Je lui ai laissé le temps de revoir sa fille et j'espère que ça lui a fait du bien. Je n'imagine même pas ce qu'il a pu ressentir en voyant sa fille endormie. J'ai le cœur noué à l'idée de savoir que tout est de ma faute.

J'aimerais pouvoir m'exprimer, lui dire à quel point je suis dévasté et à quel point je me déteste pour tout ça, mais je sais que ça ne sert à rien. Non seulement, il ne pourrait pas comprendre l'étendu de mes sentiments, mais en plus, il doit ressentir une plus profonde détresse que moi. Après tout, c'est sa fille. 

J'hésite. Je ne sais pas si je dois parler ou lui laisser du temps. De son côté, je sens qu'il voudrait parler, mais il ne le fait pas. Ses lèvres tremblent et ses yeux continuent de laisser des larmes couler. 

Lentement, je m'approche de lui et j'attends. J'attends de voir ce qu'il va me dire. J'attends de savoir s'il me déteste encore plus. J'attends d'entendre ses jurons, ses menaces de mort, mais il n'en est rien. Patrich relève simplement la tête et ancre son regard dans le mien. 

- " Je vous remercie, votre Majesté. "

Je reste bouche bée devant ses propos. Je ne m'attendais certainement pas à ça. L'incompréhension se lit sur mon visage et il répond simplement à mon questionnement. 

- " Oui... Je vous remercie. Bien qu'elle soit dans un état second, je suis heureux de la voir entourée de bonnes personnes et de médecin. À la maison, elle serait condamnée à une vie de souffrance et de pauvreté. Au moins, ici, elle s'occupe et elle reste forte. J'ai bien vu qu'elle avait pris du poids, c'est une bonne chose. Je ne me pardonnerais jamais de l'avoir poussé à une vie de voleuse. Ce jour-là, c'était moi qui devais être emprisonné. C'est moi qui ai volé ce morceau de pain. "

- " Je ne savais pas. " 

- " Non, bien sûr. Je voulais ce morceau de pain, pour mes enfants. Mon dernier garçon est bien trop jeune et mourant de faim. Je voulais lui offrir à manger, mais je me suis fait prendre. En fait, ma fille s'est immiscée devant moi au moment où un garde venait à ma rencontre. Je n'ai pas pu l'en empêcher. J'ai été faible. Je m'en veux terriblement depuis ce jour. Je m'en veux de donner cette vie à mes enfants, mais je suis heureux de savoir qu'au moins un de mes enfants a réussi à survivre. "

- " Je... Je ne crois pas qu'elle survive ici. Elle ne fait que souffrir depuis qu'elle vit dans mon château. Je ne sais pas comment prendre soin d'elle. "

- " Vous faites bien plus que ma femme et moi pourrions lui apporter. Je vous en suis reconnaissant. "

- " Je ferai de mon mieux pour qu'elle soit heureuse. "

- " Bien. Alors, je crois que je n'ai plus rien à faire ici. "

Patrich se courbe lentement devant moi et mon cœur rate des battements. Il ne faut pas qu'il parte. 

- " Non, attendez. Je crois qu'il fera plaisir à Praline que vous soyez là, à ses côtés, quand elle se réveillera. "

- " Je ne sais pas, votre Majesté. Je ne veux pas abuser de votre hospitalité. " 

- " Non, bien sûr. Je serais ravi de vous compter parmi nous, le temps qu'il faudra à Praline pour se réveiller. "

- " Merci. " 

D'un geste rapide, j'intime à un garde de s'approcher. Gentiment, je lui demande de conduire le père de Praline et son petit frère dans une chambre, préalablement préparée pour eux. Tandis que le garde se recule pour laisser passer Patrich et Robert, je me décale et leur propose de se reposer avant le dîner.

- " Je vous enverrai un garde pour qu'ils vous amènent dans la salle à manger. Prenez le temps de vous reposer. Mon château est à votre entière disposition. " 

Le père de Praline se courbe délicatement vers moi et me sourit. Du coin de l'œil, je vois Robert sautiller sur place. Un petit sourire vient se glisser sur mon visage et je me rends compte à quel point ils se ressemblent, Praline et lui. Même petit nez, même couleur de cheveux. Soudain, je me mets à imaginer comment était Praline plus petite et mon cœur s'attendrit. J'imagine sans peine qu'elle devait être adorable. 

Je l'imagine courir dans les bras de son père, souriant et rigolant à pleines dents. Je l'imagine courir dans la boue et se salir le visage. Bizarrement, j'entends la voix de son père, lui faire la morale et ensuite rigoler. 

Je suis heureux quand j'essaye d'imaginer comment était sa vie, avant. Pourtant, maintenant, je me rends compte de ce que j'ai fait. De tout le mal que j'ai fait. Que je lui ai fait. Je lui ai tout arraché. Je lui ai arraché ses moments de bonheur, entourés de sa famille. Je l'ai empêché de voir sa famille, de voir ses petits frères et sœurs grandirent. Je l'empêche de revoir ses parents et je suis le mieux placé pour savoir ce que ça fait de ne pas être avec ses parents. 

En cet instant, je me hais. Je hais l'homme que je suis. Je me hais d'être devenu cet homme égoïste et sans cœur. Je me hais de rendre ma sœur malheureuse, je me hais d'être un mauvais grand frère et d'être un mauvais roi pour mon peuple. Je me déteste de ne pas avoir sauvé ma mère et mon père. 

Je me hais, parce que je sais que quoique je fasse dorénavant, je serais toujours attaché à cette paysanne qui est rentrée dans ma vie, un jour d'été. Je me hais, parce que, maintenant que je suis épris d'elle, je serais pour toujours et à jamais, un homme égoïste qui voudra la garder pour lui tout seul. Je me hais parce que je sais qu'elle ne pourra plus jamais quitter les murs de ce château, parce que j'en mourrais.

Je hais la façon que j'ai d'être amoureux d'elle. Je hais la manière dont elle me regarde et je hais ce qu'elle me fait ressentir.

Je me hais parce que je l'aime. 



Luv, 

May.


Sa Majesté d'Éronde [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant