Point de vue d'Isabella :
Mon cœur me faisait mal, je n'aimais pas du tout être dans cet endroit. Je fermai les yeux et essayai de toutes mes forces d'ignorer les pleurs, les cris de détresse, et les hurlements d'hystérie qui émanaient des portes fermées qui m'entouraient alors que je continuai d'avancer dans ce couloir interminable sans entrevoir le bout.
— Il n'est pas agressif, nous dit l'infirmière, mais pas trop bavard non plus.
— Est-ce qu'il prend des médocs ? lui demanda Henri avec hésitation.
— Oui, et les médecins disent qu'il est plutôt coopératif.
Le ton calme de sa voix m'impressionnait, tout comme la douceur de ses traits alors qu'elle côtoyait des malades mentaux tous les jours sans devenir folle elle-même. J'enviais presque son sourire et sa beauté, moi qui ne ressemblais plus à rien depuis des semaines. Dire qu'à une époque, j'étais aussi élégante !
Pourtant, j'avais fait des efforts pour être présentable en quittant ma maison ce matin, mais même avec un pantalon classe, un pull en cachemire et un manteau en laine, mes yeux cernés et mon chignon négligé ne tromperaient pas ceux qui me connaissaient. Je n'étais plus la même depuis qu'il n'était plus dans ma vie, je n'existais plus depuis que mon univers s'était écroulé quand on m'avait annoncé son décès.
Nous nous arrêtâmes devant une porte identique aux autres. Dès que l'infirmière la déverrouilla, un vertige soudain me força à me retenir au mur pour ne pas m'effondrer. Je posai instinctivement ma main sur mon ventre et Henri se précipita vers moi.
Convaincue qu'il avait repéré mon désarroi, à la grimace qu'il faisait, je tentais d'esquisser un sourire, sans y parvenir.
— Tu as mal quelque part ? Tu veux qu'on retourne à l'hôpital ?
Après y avoir séjourné deux semaines, il ne me hâtait pas d'y retourner.
— Ça va, Henri, je vais bien...
— Tu sais, on n'est pas obligé de...
— Si. J'en ai besoin. J'ai besoin de le voir.
J'avais du mal à réaliser que j'allais revoir celui qui avait détruit ma vie, mais il le fallait si je voulais aller de l'avant. Comme l'infirmière m'observait, je tentais d'avoir l'air sûre de moi, et me redressai convenablement. Le bouclé proposa de m'aider, mais je déclinai gentiment. Je pouvais y arriver seule.
J'étais seule, désormais.
— Ne vous inquiétez pas, la sécurité est là en cas de besoin.
Elle jeta un coup d'œil à mon ventre légèrement arrondi - qui avait déjà commencé à se voir - pour appuyer ses propos. Je soupirai intérieurement. Une veuve de vingt-cinq ans, enceinte, qui venait affronter celui qui était responsable de la mort de son mari, elle ne devait pas voir ça tous les jours. Or, je ne voulais de la pitié de personne.
La jeune femme poussa la porte et j'entrai en premier, suivie du bouclé. Et là, je le vis ; affalé sur un petit lit, le visage pâle et les yeux rivés sur le bouquin qu'il tenait d'une main. Sur la couverture je parvins à lire : « La part des ténèbres » et c'était tellement ironique que j'avais presque envie de griffer un sourire.
Lui, ne bougea pas, et ne releva même pas la tête, mais il nous avait parfaitement remarqués. Les lèvres courbées, il passa une main dans ses cheveux blonds en pagaille et redressa maladroitement l'oreiller sous sa tête. Ses gestes étaient lents, et quand il referma son livre et le reposa sur la petite table à sa gauche, je ne loupai pas sa grimace.
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Engagement [Tome 1]
RomanceDu haut de ses vingt-quatre ans, Isabella est une jeune femme qui n'a pas eu le privilège de vivre comme les autres personnes de son âge. Orpheline depuis ses quatorze ans, elle est captive de sa famille conservatrice. Elle n'a jamais rien connu de...