Sarah était plongée dans une grande déprime, elle ne sortait pratiquement plus. Elle mangeait uniquement par réflexe. Plus rien ne la rattachait à la vie, elle avait vraiment tout perdu : sa famille, sa vie d'avant, son appartement... Il pouvait lui arriver n'importe quoi, elle s'en moquait. Elle regrettait de n'avoir pas perdu la vie à Auschwitz. Maintenant elle allait devoir vivre avec ses cauchemars, sa solitude et sa culpabilité d'avoir survécu. Pourquoi la vie, l'avait elle épargnée contrairement à ses proches et à d'autres gens ? C'était tellement injuste. Sarah avait vraiment l'impression d'avoir piqué la place de quelqu'un d'autre. Elle ne savourait même pas d'être encore en vie. Son voisin ne cessa de s'inquiéter pour elle et lui conseilla d'aller voir un psychologue pour l'aider à sortir de cette déprime, mais cette dernière refusa par peur de devoir reparler d'Auschwitz. Plus jamais, elle n'aborderait ce passé. Elle avait déjà assez de problèmes avec ses cauchemars qui le lui rappelaient au quotidien. Toutes les nuits, elle revoyait ces affreuses images de pendaison, de tortures, de chambre à gaz et de four crématoire. Elle hurlait même dans son sommeil pour que les SS ou les kapos la laissent en paix. Dés fois la nuit, elle se relevait pour cacher de la nourriture dans son lit par crainte de ne plus en avoir le lendemain. Elle se grattait partout comme si les puces d'Auschwitz l'avaient suivie jusqu'à Paris. Son passé de déporté l'avait tellement traumatisé que son cerveau n'arrivait plus à s'adapter à la vie normale. Pour lui, il était encore à Auschwitz. Même en se promenant dans les rues, elle n'avait pas l'esprit tranquille. Elle ne comprenait pas pourquoi on rasait la tête des femmes qui avaient eu une liaison avec les allemands. Pour elle, on leur faisait autant de mal qu'aux déportés. C'était inhumain de faire ça. Il y avait d'autres moyens de sanction que celui-ci. Enfin bref... Les cheveux pouvaient repousser, Sarah en avait bien récupérés. Ce n'était pas comme si on leur avait tatoué un matricule sur le bras où il était impossible de retrouver sa peau d'avant. D'ailleurs, Sarah portait toujours des manches longues pour cacher le sien. Elle en avait tellement honte.
Vers la fin de l'année 1945, M. Renoir adopta officiellement Sarah, étant encore mineure. L'adolescente refusa de reprendre ses études. Elle préféra renoncer à son rêve de médecin que de rattraper son retard. Elle avait manqué son année de troisième au collège, plus celles du lycée. Quand elle rentrerait en fac, elle serait plus vieille que les autres étudiants. Elle ne se voyait pas dans cette situation. Elle choisit donc de trouver du travail et elle accumula de nombreux échecs. Sa déprime et son mal être en firent les causes.
En 1946, à l'âge de dix huit ans, elle obtint enfin un poste de serveuse dans un restaurant, mais elle dut confronter plusieurs fois son employeur à cause de sa tenue vestimentaire. Cette fois-ci, ce dernier fut à bout de patience.
- Je ne veux pas que vous serviez nos clients avec une robe à manches longues, lâcha-t-il sur un ton autoritaire. Vous allez puer la transpi et les gens vont croire que vous avez froid et que vous ne foutez rien.
Sarah fut terrifiée à l'idée de porter une robe à manches courtes. Tout le monde remarquerait son tatouage.
- Je ne peux pas, bégaya-t-elle.
- Comment ça, vous ne pouvez pas ? gronda le patron. Je vous mets à la porte si ça vous dérange.
Ce fut un grand dilemme pour Sarah. Soit elle travaillait avec son tatouage ou soit elle renonçait à son poste pour préserver son secret.
- Alors ? Vous n'avez toujours pas répondu à ma question, s'impatienta le patron à la tête chauve qui se grattait le ventre rempli de graisse. Pourquoi vous ne pouvez-vous pas porter une robe à manches courtes ?
- Je ne veux pas montrer mon tatouage, avoua-t-elle.
- Non, mais c'est une blague ? fit la patron d'un air moqueur. Madame se fait tatouer et elle ne veut pas l'assumer.
Sarah eut envie de pleurer, mais les larmes ne sortaient pas.
- Mais je ne l'ai pas choisi, se justifia-t-elle. On me l'a imposé.
- Vous vous foutez de moi ? Vous êtes virée ! annonça le patron hors de lui.
Sarah abandonna les chances de se battre, elle partit sans demander son reste. De toute façon, cet homme ne l'aurait ni écouté ni compris. Il n'avait pas vécu à Auschwitz. Elle pleura pendant plusieurs jours, puis elle postula dans d'autres restaurants où on n'accorderait aucune importance à sa tenue vestimentaire. Par miracle, elle fut prise dans une pizzeria. Comme elle était habituée à travailler dur, elle ne se plaignit jamais des horaires, du coup de bourre et des clients compliqués contrairement aux autres collègues. C'était même rasoir pour elle de toujours les entendre critiquer. Ils n'avaient pas vécu à Auschwitz. Son patron lui fit de nombreux compliments, ce qui provoqua la jalousie de ses collègues. Elle eut droit au surnom de lèche-bottes du boss. Ils lui adressèrent la parole uniquement pour lui donner des ordres, mais Sarah n'en fut pas plus perturbée. A Auschwitz, elle recevait des coups. En ayant vécu pire, elle s'était blindée face à ce genre de gamineries. Elle continua de travailler comme au premier jour. Lorsqu'elle reçut son premier salaire, elle chercha un petit studio pour avoir son indépendance. Elle mit exactement deux semaines avant de le trouver. Ce dernier disposait de deux pièces. Dans la plus grande, il y avait la cuisine en bois avec une table ronde et quatre chaises, le petit coin séjour avec un canapé-lit et un téléviseur. Ses teintes claires la rendaient lumineuse, étant située en dessous des velux sous la toiture de l'immeuble. Et dans la plus petite pièce, il y avait une baignoire, un lavabo et des toilettes. Les couleurs étaient plus sombres et moins accueillantes avec un mélange de noir et de marron. Ce qui ne dérangeait pas forcément Sarah. Du moment qu'elle avait un toit, c'était le plus important pour elle. A Auschwitz, elle n'avait rien. La jeune femme avait bien mûrie. Elle aurait considéré ce studio comme un taudis si elle n'avait pas perdu sa vie d'avant. Mais bon, elle ne regrettait pas forcément cette dernière puisque l'argent ne l'avait pas empêché de se faire déporter. Le premier jour que Sarah passa chez elle, tourna en véritable cauchemar. Elle avait attrapé la gastro et courait toutes les deux minutes aux toilettes. Etant malade comme un chien, elle se rendit quand même au travail. A Auschwitz, les gens mouraient en bossant. Ce n'était pas une gastro qui arrêterait Sarah.
- Regarde moi ça, fit Isabelle Guilcher, une pimbêche de vingt six ans. Elle est blanche comme un cul. Elle va nous refiler ses microbes.
- C'est clair, soupira Elsa Berglère d'un air désespéré. On va tous être malades à cause d'elle.
Sarah préféra ignorer les remarques blessantes de ses collègues qui ne faisaient rien pour cacher leurs dégoûts. Les kapos et les SS étaient pires qu'elles. Elle passa la soirée à jongler entre les clients et les toilettes. Toute fiévreuse et à bout de force, elle finit par s'évanouir en cuisine. Son patron dut lâcher la pizza pour voler à son secours. Quand elle retrouva ses esprits, il lui conseilla de rentrer chez elle pour qu'elle se repose. Il appela même un taxi malgré ses protestations. Il refusait de perdre sa meilleure salariée. Sarah termina finalement la soirée chez elle dans son lit.
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Survivre après Auschwitz
Fiksi SejarahSarah Dreyfus, jeune juive, se fait déporter à Auschwitz après dénonciation. Dans ce camp, elle va y vivre l'enfer. Sa vie ne tient qu'à un fil et elle n'en sortira pas indemne. A sa libération, elle devra continuer à vivre avec toute cette horreur...