Chapitre 24

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Pouvez-vous nous accompagner à Auschwitz ? Le corps de Sarah réagit très mal à cette question, lui provoquant des tremblements dans les bras et dans les jambes. Des troisièmes du collège de son quartier voulaient qu'elle vienne avec eux en voyage en Pologne. En 1964, à l'âge de trente six ans, elle ne se sentait pas encore prête à revoir l'endroit où elle avait vécu l'enfer. Elle doutait même d'y arriver un jour. Son cœur se mit à battre la chamade. Elle pleura sous le regard inquiet de son fils de neuf ans. Sans se poser de question, celui-ci reposa son verre de lait sur la table, puis se rapprocha de sa mère pour l'enlacer tendrement dans ses petits bras.


- Tu sais maman ? Je serai toujours là pour toi, promit David de sa voix douce.


Son fils lui rappelait trop Lucas, il était aussi affectueux que son père.


- Je n'en doute pas mon chéri. Mais ne t'inquiète pas, ça va aller ! lui dit-elle.


- Je l'espère. Je n'aime pas te voir pleurer.


- J'ai juste été bouleversée par cette invitation.


Elle posa la carte devant lui pour qu'il puisse la lire. Après l'avoir fait, les yeux de son fils s'arrondirent de surprise, puis un sourire apparut aux coins de ses lèvres. Contrairement à elle, il fut très emballé par cette invitation. En même temps, il n'avait ni vécu dans ce camp, ni subi un traumatisme. Il ne pouvait pas comprendre à quel point ça la bouleversait de revoir Auschwitz.


- C'est trop chouette ! Je veux y aller avec vous, s'extasia-t-il.


Il ne manquerait plus que ça ! Que son fils de neuf ans vienne avec eux alors qu'elle ne se sentait pas capable de revoir le camp de la mort ! Ce n'était pas un endroit pour lui. Il risquerait d'en sortir traumatisé.


- Il en est hors de question ! Tu es trop jeune, s'opposa-t-elle en haussant un peu trop la voix.


- J'ai lu ton livre, avoua David. Je sais ce que tu as vécu. Je ne m'attends pas à visiter un parc de loisirs.


Les yeux de Sarah s'écarquillèrent. Elle n'aurait jamais cru qu'il lirait son livre derrière son dos. Elle fut soudainement prise par une bouffée d'angoisse rien qu'à l'imaginer être affecté par certains passages de sa vie. En voulant le protéger, elle ne lui avait jamais dit auparavant qu'elle avait été violentée par les SS et les kapos.


- Tu n'aurais jamais dû le lire, lâcha-t-elle la voix toute tremblante. Ce n'est pas un livre pour un petit garçon de ton âge.


- Je ne suis pas en sucre maman, fit remarquer David. Je n'en suis pas mort. Je ne regrette pas d'avoir lu ton livre et je compte bien t'accompagner à Auschwitz.


- Non, tu n'iras pas là-bas.


- Si tu ne veux pas que j'y aille, j'irai tout seul par mes propres moyens.


- Tu es complètement fou ! Je t'empêcherai d'y aller. D'ailleurs, je n'irai pas non plus car je vais refuser cette invitation.


- Ah bon ? Pourquoi ? Parce que tu es une froussarde. Moi j'irai quand même. Je suis plus courageux que toi.


Ils passèrent une heure à se disputer. Ni l'un, ni l'autre ne se reparla de la journée. David s'enferma dans sa chambre. Pour la première fois de sa vie, il se rebellait contre sa mère et il comptait bien la faire changer d'avis. Il tenait vraiment à visiter Auschwitz avec la classe de troisième. C'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour découvrir le terrible endroit où elle avait vécu. On apprenait mieux sur le terrain que dans les livres. David resta assis sur son lit à réfléchir pendant des heures, puis il lui vint une idée. Il attendit que sa mère aille faire quelques achats. Ensuite, il sortit de sa chambre, récupéra la carte d'invitation sur le meuble de la cuisine et s'installa à son bureau pour écrire. Bonjour à vous, j'accepte avec plaisir votre invitation. Par contre, j'emmènerai mon fils avec moi. A bientôt. David se relut, il ne voulait pas y laisser des fautes. En ayant dit oui au collège, sa mère ne pourrait plus refuser de voyager à Auschwitz. Elle serait même obligée de l'emmener, étant donné que la lettre le prévoyait. Tout heureux, David sortit de chez lui en vitesse et déposa son enveloppe dans la boite aux lettres du collège.


Trois jours plus tard, Sarah n'avait toujours pas changé d'avis. Elle récupéra son courrier dans la boite aux lettres et fut surprise de trouver une enveloppe du collège. Elle n'avait pourtant pas répondu à son invitation. Intriguée, elle se dépêcha de l'ouvrir. Au fur et à mesure de la lecture, ses yeux s'écarquillèrent et les battements de son cœur s'accélérèrent à une vitesse fulgurante. Elle réalisa que David avait répondu à son invitation à sa place. Maintenant, à cause de lui, ils devront partir à Auschwitz avec cette classe de troisième. Elle ne pouvait plus revenir en arrière, sinon elle se ferait passer pour la folle de service qui changeait tout le temps d'avis. Furieuse, elle se rendit dans la chambre de son fils et le réprimanda.


La veille du voyage, le stress rendit Sarah malade. Elle se plaignit de la tête, fut prise de nausées et ne trouva pas le sommeil. Ses pensées tournèrent autour du camp d'extermination. Elle s'imaginait déjà en train de le visiter et de le redécouvrir. Avait-il beaucoup changé ? Ou était-il resté le même ? Dans tous les cas, il devait y avoir encore de la boue. Elle prit donc la précaution de mettre ses bottes dans son sac de voyage. Il était hors de question qu'elle se resalisse les pieds. Le lendemain matin, elle se leva de son lit de la même manière qu'un zombie. Elle manqua de force et de courage contrairement à son fils qui attendait déjà devant la porte avec son sac à la main.


- Dépêche toi, lui dit-il. Nous allons être en retard.


- Ce n'est pas bien grave. Qu'ils partent sans nous !


David garda le silence, il ne voulait pas déclencher une nouvelle dispute, mais il était en train de se dire que sa mère faisait exprès de prendre son temps pour qu'ils ne puissent pas prendre le train avec les collégiens.


Une heure plus tard, Sarah et David arrivèrent à la gare à bout de souffle. Comme ils étaient un peu en retard, ils avaient dû courir le long du quai. Ils saluèrent les professeurs et les élèves, puis montèrent dans le train. Sarah trouva une place à côté de son fils contre la vitre et regarda les paysages défiler le long du trajet. C'était une chose qu'elle n'avait pas pu faire lors de son dernier voyage en Pologne. Quelques larmes coulèrent sur ses joues, rien qu'en pensant au wagon à bestiaux. Elle avait voyagé dans des conditions difficiles, alors qu'aujourd'hui, elle sillonnait les campagnes en troisième classe. Ce qui voulait dire pour elle, dans le luxe. Le train mit plusieurs jours pour arriver en Pologne. On était encore loin des TGV de maintenant. Sarah fut surprise par la beauté des paysages dans ce pays, elle avait toujours cru qu'ils étaient aussi ternes qu'Auschwitz. Lorsque le train arriva à sa destination finale, le groupe du collège se rassembla sur le quai, puis marcha dans les rues de Cracovie avant de se rendre à l'auberge où il passera la nuit. Sarah stressa à l'idée de revoir Auschwitz le lendemain.

Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant