Chapitre 3

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La famille Dreyfus resta cachée dans ce grenier jusqu'en juin 1943. Sarah avait quinze ans et son frère douze ans. La vie de leur famille était devenue très compliquée et très précaire. Le grenier disposait d'un grand lit, de deux matelas au sol, d'une table avec quatre chaises, d'un frigo, d'un meuble et de trois grands récipients. Il n'y avait aucun évier et aucune fenêtre. La famille n'avait pas le droit de faire du bruit la journée pour ne pas que les gens de l'immeuble s'aperçoivent qu'il y avait des clandestins au grenier. Pour se déplacer, les Dreyfus devaient marcher sur la pointe des pieds. Le plancher avait tendance à grincer. Ils devaient aussi se laver dans une énorme bassine. Evidemment, l'eau n'était pas changée tous les jours, mais une fois par mois. Leur ancien voisin prenait énormément de risques pour eux. Il leur apportait aussi de quoi se nourrir. Les Dreyfus devaient faire leurs besoins dans un seau, les odeurs envahissaient vite le grenier. Ils se parlaient uniquement en chuchotant et se retenaient pour tousser et éternuer. Ils s'ennuyaient comme des rats morts. Rachel n'avait plus de robe à essayer, Alexandre ne jouait plus à la guitare, David ne soignait plus les gens et Sarah ne pouvait plus rien faire à l'extérieur. Elle pleura sa vie d'avant. Elle se sentit emprisonnée comme un gangster dans une cellule.


- Je veux rentrer à la maison, sanglota-t-elle.


- C'est impossible ! Les français et les allemands ne veulent plus des juifs. Si nous sortons de notre cachette, ils nous arrêteront, rappela sa mère sur un ton sec.


- Mais pourquoi ne veulent-ils pas des juifs ? demanda soudainement Alexandre. Nous sommes comme eux et nous n'avons rien fait de mal !


- Je ne sais pas, avoua son père. Hitler a juste perdu la tête et il y a des gens assez cons pour le suivre.


Sarah en voulut terriblement à ces gens qui rejetaient leur communauté. Elle espérait qu'un jour, les nazis perdent la guerre et qu'on leur fasse payer cette cruauté.


Les journées et les nuits étaient longues dans ce grenier. Ils s'occupèrent en lisant des livres ou en jouant à des jeux de société. Mais au bout d'un moment, ils s'en lassèrent. Ils mangèrent essentiellement des crudités et de la charcuterie car ils n'avaient aucune plaque de cuisson à leur disposition. En juin 1943, Daniel Lemaitre, leur ancien voisin mourut d'une crise cardiaque et la famille se retrouva complètement livrée à elle-même. Elle dut prendre beaucoup de risques pour aller chercher de la nourriture. C'était leur seul moyen de survie. Un jour, un homme repéra le père de Sarah dans la rue et le reconnut. Personne n'avait oublié le Dr David Dreyfus à Paris. Et encore moins celui qui avait failli mourir d'une pneumonie. Mais cela ne l'empêcha pas de suivre son ancien médecin et de le dénoncer à la police française. La famille Dreyfus fut alors arrêtée le 21 juin 1943, puis emmenée dans le camp de Drancy. Sarah n'oubliera jamais ce fameux jour où les policiers français avaient débarqué dans le grenier avec leurs armes dans les mains. Sa mère et son frère s'étaient effondrés en larmes, tandis que son père les avait suppliés de les épargner parce qu'ils avaient la nationalité française. Sarah, de son côté, avait cru qu'elle allait mourir d'un arrêt cardiaque.


- Veuillez nous suivre sans faire d'histoire, ordonna un policier à la fine moustache.


- Pouvons-nous prendre quelques affaires ? demanda Rachel la voix toute tremblante.


- Seulement une couverture et un rechange.


En gros, il ne leur resterait plus rien, avait donc pensé Sarah à ce moment-là.

Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant