L'année 1970 commença. A quarante deux ans, Sarah était devenue la plus heureuse des femmes. Son mari prenait soin d'elle et ses enfants lui apportaient beaucoup d'amour. Avec eux, elle pouvait oublier son passé ; son enfance perdue, la famille Dreyfus, Auschwitz, Mr Renoir, son premier travail, Louis, Lucas, l'incendie, Rose et Eli. Agé de deux ans, Vincent avait déjà un sourire éblouissant qui attirait le regard des autres. Il aimait beaucoup les câlins. C'était un enfant sage et obéissant. Quant à David, il aidait beaucoup sa maman dans les corvées et il devenait de plus en plus studieux. L'adolescent de quinze ans travaillait dur à l'école pour devenir un jour médecin. Sarah ne se plaignait jamais de ses enfants. Elle se sentait fière de son rôle de maman. Un rôle qui n'était pas toujours facile à tenir avec une vie professionnelle mouvementée entre la librairie et les écoles. Mais pour rien au monde, elle changerait ça. Elle aimait trop sa vie. Elle avait déjà surpassé d'autres épreuves plus difficiles dans son passé. Aujourd'hui, elle prépara un gâteau au chocolat pour remercier sa famille de la rendre heureuse. Pendant la préparation, elle eut un léger étourdissement qui dura à peine quelques secondes. Puis, elle se sentit de plus en plus affaiblie. La fatigue en était sûrement la cause, elle s'était couchée tard hier soir. A seize heures, la famille se retrouva autour de la table pour manger ce délicieux gâteau. Sarah fut la dernière à se servir. Son mari et ses enfants avaient déjà croqué dans un bout. A sa grande surprise, elle les vit grimacer.
- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle inquiète.
- Tu as mis du sel à la place du sucre, maman, expliqua David.
Sarah se mit à pleurer. Elle avait complètement loupé son gâteau. Il fallait vraiment être stupide pour faire ce genre d'erreur. Son mari et ses enfants la cajolèrent.
- Ne te mets pas dans cet état-là chérie, lui dit Alexander sur un ton affectueux. Ça peut arriver à tout le monde.
- On t'aime quand même, ajouta David.
Sarah eut du mal de s'arrêter de pleurer.
- Il y a plus grave dans la vie. Et tu le sais très bien ! rappela Alexander.
Sarah ne fut plus vraiment sûre de pleurer pour ce gâteau. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. A bout de force, elle annonça qu'elle allait se coucher. Elle fit quelques pas dans la cuisine avant de tomber dans les pommes. Alexander n'eut pas le temps de la retenir, sa tête heurta le sol. Effrayés, Vincent et David pleurèrent. Sarah ne mit pas longtemps à reprendre connaissance. Elle tenta de rassurer ses enfants en leur disant qu'elle se sentait mieux. Peu convaincu, Alexander l'allongea dans leur lit et contacta le médecin. Ce dernier arriva aussitôt avec sa sacoche noire dans les mains. Il avait les cheveux gris, ses yeux étaient marrons et il portait la moustache. Il ausculta Sarah.
- Vous allez avoir une énorme bosse à la tête. Si vous avez des nausées, des maux de tête terribles ou bien des vertiges, il faudra me recontacter. Vous avez peut-être subi un traumatisme crânien, annonça-il.
- D'accord docteur, promit Sarah.
- Et pour son malaise ? demanda Alexander.
- J'y viens. Je pense à une éventuelle grossesse.
Les yeux de Sarah s'arrondirent de stupeur.
- Non ! protesta-t-elle. Ce n'est pas possible. J'ai quarante deux ans.
- Vous avez encore l'âge de concevoir des enfants. Sauf que ça sera plus compliquée pour vous, avoua le médecin.
- C'était déjà compliqué quand j'étais plus jeune.
Elle avait un mauvais souvenir de ses grossesses et de ses accouchements. Elle s'effondra en larmes. A partir de ce jour-là, elle entra dans une grosse dépression. Elle n'acceptait pas cette quatrième grossesse. Elle restait enfermée dans sa chambre. Elle n'ouvrait plus la librairie. Elle ne parlait plus beaucoup. Elle ne dormait pas assez. Elle mangeait uniquement parce que le médecin l'avait disputée. Contrairement à elle, Alexander fut très heureux pour le bébé. D'ailleurs, il ne comprenait pas vraiment Sarah et le couple se querellait souvent. David prit plutôt bien la nouvelle, malgré qu'il s'inquiétait pour la santé de sa maman. Quant à Vincent, il fut trop petit pour comprendre. Il ne se rendit compte de rien.
L'état de Sarah préoccupait le médecin. Elle maigrissait alors qu'elle allait bientôt atteindre le quatrième mois de grossesse. Il l'envoya à l'hôpital malgré ses protestations. Elle ne faisait rien pour aller mieux moralement et ne s'alimentait pas assez. La vie du bébé était en jeu. Qu'elle le veuille ou non, elle allait devoir penser à lui. A l'hôpital, elle dut obéir aux ordres des médecins et des infirmières. Elle prit même un sacré savon quand elle refusa de finir son assiette.
- Si vous tuez votre bébé, vous serez impardonnable. Vous deviendrez une criminelle ! accusa une infirmière très en colère.
Le mot criminel résonna dans la tête de Sarah. A chaque fois qu'elle l'entendait, elle ne put s'empêcher de penser aux nazis. Elle fut soudainement prise de panique rien qu'en pensant qu'elle deviendrait comme eux si elle ne faisait rien pour arranger les choses. Il était hors de question qu'elle tue son bébé. Elle n'était pas comme ça. Elle s'était juste égarée en chemin. A partir de ce moment-là, elle remonta la pente pour sauver la vie de son enfant.
Les mois défilèrent. Sarah avait repris du poids. Elle allait beaucoup mieux moralement. Son ventre n'était pas aussi volumineux que ses précédentes grossesses. Cela la changeait complètement. Elle fut plus sereine pour l'accouchement. Dans deux semaines, elle tiendrait son bébé dans ses bras. Pour l'instant, elle devait se reposer. Elle était partie se promener en ville avec toute la famille. Elle embrassa ses enfants et se coucha dans son lit. Tard dans la nuit, Sarah se plaignit d'avoir mal au dos. Les douleurs étaient atroces. Les larmes aux yeux, elle avait plutôt cru que cet accouchement se passerait mieux que les précédents. Le bébé était beaucoup plus petit. Lorsque le médecin l'examina, elle souffrit le martyre. Il avait l'air inquiet. Le bébé ne voulait pas descendre. Pourtant, les contractions étaient devenues intenses très rapidement. Il lui conseilla alors de marcher un peu avec l'aide de son mari pour déclencher un mouvement. Mais elle fut incapable de se lever. Elle souffrait trop.
- Il ne se présente pas bien, je vais le retourner, annonça le médecin.
Il positionna la tête du bébé vers le bas.
Sarah était d'une pâleur extrême. Les contractions lui coupèrent le souffle.
- Je crois que je suis en train de mourir, lâcha-t-elle à bout de force.
- Poussez ! ordonna le médecin.
Sarah poussa en hurlant de douleur. Elle eut l'impression qu'on la broyait dans un étau.
- Continuez ! Ce n'est pas suffisant ! cria le médecin.
Sarah poussa si fort qu'elle se mit à vomir. Plusieurs fois, elle faillit abandonner. Son mari l'encouragea et lui redonna la force de continuer. Elle cassa les oreilles.
- Nous y sommes presque, signala le médecin. Poussez encore plus fort !
Sarah fit un dernier effort. Le bébé sortit et cria. La mère se laissa retomber sur son oreiller et vomit de nouveau. Elle paraissait sur le point de s'évanouir. Le médecin coupa le cordon et passa le bébé à Alexander pour qu'il le nettoie et l'enveloppe. Ensuite, il s'occupa de Sarah. Il libéra le placenta et lui donna un traitement pour que sa tension remonte.
- Nous avons une adorable petite fille, annonça Alexander tout content.
Sarah sourit. Elle s'endormit devant le joli visage de son bébé. L'accouchement l'avait épuisée. A son réveil, elle discuta du prénom avec son mari. Ils furent tous les deux d'accord pour Emma. Ils la présentèrent à ses frères. David l'accueillit avec le sourire, tandis que Vincent fut plus réservé. Il regarda d'un air étonné cette petite chose rose qui dormait dans les bras de sa maman. Puis il partit s'amuser avec ses jouets. Il ne se sentait pas du tout à l'aise avec sa petite sœur. David embrassa le petit front d'Emma avant d'aller en cours. Le couple se retrouva seul. Alexander se pencha vers Sarah pour l'embrasser tendrement. Grâce à elle, il connaissait le véritable bonheur.Depuis sa naissance, Emma pleurait souvent pour qu'on la porte. Alexander cédait à chaque fois à ses caprices. Ce qui agaçait Sarah. Elle avait beau lui dire que ce n'était pas bon de faire ça pour l'éducation de leur fille, ce dernier mettait toujours l'excuse qu'elle était encore trop petite pour dormir seule. Du coup, Sarah dut abandonner la bataille, tout en espérant que ça change avec le temps.
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Survivre après Auschwitz
Исторические романыSarah Dreyfus, jeune juive, se fait déporter à Auschwitz après dénonciation. Dans ce camp, elle va y vivre l'enfer. Sa vie ne tient qu'à un fil et elle n'en sortira pas indemne. A sa libération, elle devra continuer à vivre avec toute cette horreur...