Chapitre 45

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Sarah ne travaillait pas aujourd'hui. Les enfants étaient à l'école. Elle en profita pour se reposer et se relaxer. Elle déjeuna avec du café et de la brioche. Ensuite, elle ouvrit tranquillement une enveloppe qu'elle venait de recevoir dans la boite aux lettres. Curieuse de connaître son expéditeur, elle se plongea rapidement dans la lecture.

Madame Sarah Dreyfus-Muller,

Je me présente. Je m'appelle Martin Chevalier. Je suis producteur de film. J'ai lu récemment votre article dans le journal et j'ai aussi découvert vos livres.

J'ai été énormément touché par votre vie : de votre enfance à aujourd'hui. Et je souhaiterais en faire un film.

Pour cela, je vous propose de nous rencontrer pour en discuter. J'aurai besoin de votre accord. J'attends votre réponse avec impatience.

Je vous remercie d'avance.

Cordialement,

Martin Chevalier

Sarah trouva l'adresse de cet homme dans l'entête de la lettre. La bouche grande ouverte, elle resta un moment figée sur place. Elle ne s'attendait absolument pas à ça. Elle eut l'impression de vivre dans un rêve. Mais un rêve inaccessible. Elle ne prendrait pas le risque de se lancer dans un tel projet, même si elle en mourrait d'envie. Elle devait penser à son mari qui allait devoir encore subir des insultes à cause de son passé de SS. Après la publication de l'article dans le journal, il avait vécu l'enfer pendant un mois. Il avait beaucoup pleuré. Quand il avait témoigné dans des écoles, les collégiens et les lycéens avaient mieux réagi que les adultes en apprenant son passé. Ils ne l'avaient pas jugé. Le mois dernier, ils avaient envoyé des lettres pour le soutenir. Sarah attendit le retour de son mari avant de répondre à Martin Chevalier.

Alexander rentra dans la nuit. Les enfants étaient déjà au lit. Il fut surpris de voir Sarah encore debout. Il la prit dans ses bras et l'embrassa sur les lèvres.

- Tu ne dors pas ? demanda-t-il inquiet.

- Non, répondit Sarah. Je t'attendais. J'avais besoin de te parler. Je ne pouvais pas attendre à demain.

Elle lui montra la lettre. Alexander la lut attentivement.

- Je vais refuser, lui annonça-t-elle.

- Ah bon ? Pourquoi ? fit Alexander surpris.

- Je ne veux plus que les gens te fassent souffrir.

Alexander posa la lettre sur la table. Il la regarda droit dans les yeux.

- Tu vas accepter, lui dit-il. Tu ne peux pas renoncer à un tel projet. N'importe quel écrivain souhaiterait voir son histoire à la télévision. Tu vas devenir encore plus célèbre. Tu vas gagner encore plus d'argent. Tu vas vivre un rêve. Pour ma part, je me sens prêt à subir des insultes. Je suis devenu plus fort grâce au soutien des lycéens et des collégiens. Plus personne ne m'atteindra !

Au bout d'une heure de discussion, Sarah finit par se laisser convaincre. Le lendemain, elle écrivit une lettre à Martin Chevalier, puis la déposa à la Poste. Lorsque David apprit la nouvelle, il ne put s'empêcher de questionner sa mère.

- Pourquoi acceptes-tu que ta vie soit étalée dans un film alors que tu avais mal réagi pour l'article dans le journal ?

- Parce qu'on ne le fait pas sans mon accord. Et j'ai fini par admettre que l'article a relancé ma carrière d'écrivain.

David se contenta de cette réponse. Il espérait juste que sa mère n'ait aucun regret par la suite.

Une semaine plus tard, Sarah rencontra Martin Chevalier dans un restaurant. Cet homme de petite taille l'accueillit avec le grand sourire. Il mesurait un mètre soixante et un. Il était chauve et il portait la moustache. Ses yeux enfoncés étaient pratiquement noirs. Il avait mis un costume gris et Sarah une robe rouge. Ils s'installèrent à une table au fond de la salle. Après avoir passé commande, ils firent d'abord connaissance avant de parler du film. Le serveur leur apporta du saumon à l'oseille, accompagné de riz. Sarah et Martin mangèrent leur repas avec beaucoup d'appétit. Ils burent un verre de vin rouge. Ensuite, ils se relancèrent dans leur discussion.

- J'ai trop hâte de travailler avec vous sur ce film, avoua Martin excité. Vous assisterez à tous les tournages. Vous aurez la possibilité de rectifier certaines choses. On s'occupera du casting ensemble. Vous m'aiderez à choisir les acteurs.

Sarah l'écouta avec beaucoup d'enthousiasme. Il lui tardait aussi de se lancer dans cette aventure.

Quand elle signa le contrat de travail avec Martin Chevalier, elle dût trouver une personne pour la remplacer à la librairie. Elle ne pourra plus s'en occuper, son emploi du temps sera bien rempli avec le film. Elle engagea rapidement Maria Gonzales, une femme de vingt six ans d'origine Espagnole qui venait de perdre son mari. Elle avait besoin de gagner de l'argent pour nourrir ses enfants. Sarah enchaîna ensuite avec le casting. Celui-ci dura plusieurs semaines. Sarah et Martin prirent des acteurs qui ressemblaient aux membres de la famille Dreyfus-Torrès-Muller. Certains étaient connus et d'autres débutaient. Le tournage du film dura six mois. Les journées furent longues et épuisantes, mais Sarah eut l'impression de vivre dans un rêve. Elle avait hâte de voir leur travail à l'écran. Elle s'entendait bien avec l'équipe de tournage. Elle était même devenue grande amie avec Lisa Gautier, l'actrice qui jouait son propre personnage. Cette dernière n'hésitait pas à lui demander des conseils. Bien évidemment, il eut quelques fois des conflits avec les acteurs. Ils étaient parfois capricieux, égocentriques, imbus d'eux-mêmes et bizarres. Ils leur arrivaient de pousser une crise pour une broutille. Mais dans l'ensemble, tout finissait par s'arranger. L'équipe de tournage formait une grande famille. Et quand le film fut terminé, des larmes de tristesse coulèrent sur chaque visage. Sarah eut du mal d'accepter cette séparation. Elle s'était habituée à vivre avec eux. Son retour à la vie normale fut compliquée pendant plusieurs jours.

Le film "Survivre après Auschwitz" passa à la télévision sur deux épisodes pour la première fois en janvier 1977. La famille Muller attendit ce moment-là avec impatience. Sarah se laissa emporter par les images. Son sourire illumina son doux visage et ses yeux brillèrent. On aurait dit une petite fille qui venait de recevoir son cadeau de Noël. Le film fut une brillante réussite. Le taux d'audience explosa. Une grande majorité des français avait regardé ce film. Malgré les larmes, la famille Muller l'avait apprécié du début jusqu'à la fin. Sarah et Martin ne purent s'empêcher d'être fiers de leur travail. 

Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant