Chapitre 34

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Sarah n'avait pas revu Eli depuis leur discussion de mardi. Il avait sûrement besoin d'être seul. Ça devait être compliqué pour lui de se dire qu'il avait fréquenté un nazi. Quand Sarah rentrera de l'hôpital, elle en discutera avec lui autour d'un bon café. Elle lui remontera peut être le moral en lui proposant d'être le parrain de Vincent. Agnès Boillot, une sage-femme âgée de quarante deux ans aux cheveux blonds frisés, l'interrompit dans ses pensées :

- Bonjour comment allez-vous ce matin ?

- Bonjour, ça va bien merci. Je m'ennuie un peu.

La sage-femme jeta un coup d'œil au bébé.

- Je peux vous passer le journal, proposa-t-elle.

- Oh oui ! se récria Sarah avec le sourire. Pourquoi pas ! J'adore lire. Je vais pouvoir m'occuper un certain temps.

Une fois que la sage-femme eut terminée avec ses deux patients, elle se retira de la chambre. Cinq minutes plus tard, elle fut de retour avec le journal.

- Merci, lui dit Sarah.

La jeune femme empoigna le journal et le lut en toute tranquillité pendant que son fils dormait. En première page, elle fut tout de suite attirée par le fait divers. Hier matin, un homme âgé de cinquante six ans, armé d'un fusil, a tiré sur un pilote d'avion devant son domicile avant de se donner la mort. Quant à la victime, âgée de quarante trois ans, son pronostic vital est engagé. Sarah fut sous le choc. Les noms ne figuraient pas dans l'article, mais elle pensa rapidement à Eli et à Alexander. Les âges correspondaient. Elle resta pétrifiée devant le journal en repensant à sa conversation de mardi avec Eli. A cause d'elle, il était allé régler ses comptes avec Alexander. Elle n'aurait jamais dû lui dire qu'il était nazi. Prise de culpabilité, la jeune femme éclata en sanglots. Elle ne s'en remettrait jamais si Alexander venait à mourir. D'après l'article, il était dans un état critique. Elle pleura aussi la mort de son ami Eli, même si elle lui en voulait terriblement d'avoir fait ça. Elle ne pourra jamais oublier sa gentillesse et sa générosité.

- Oh ! Mais que vous arrive-t-il ? demanda une infirmière qui l'avait entendu pleurer depuis le couloir.

Aucun mot ne sortit de la bouche de Sarah. Ses sanglots s'intensifièrent, sa respiration se bloqua et lui provoqua une perte de connaissance. Gardant son sang-froid, l'infirmière prévint le médecin qui arriva assez rapidement au chevet de Sarah. Il l'aida à retrouver une respiration normale. Au grand soulagement de l'infirmière, la jeune femme reprit connaissance. Elle vit un homme chauve et une femme robuste aux cheveux gris penchés sur elle.

- Que s'est-il passé ? questionna le médecin intrigué.

- Je ne sais pas. Elle pleurait beaucoup, raconta l'infirmière.

Le médecin entendit un froissement de papier et se rendit compte qu'il venait de marcher sur quelque chose. Ses yeux se baissèrent automatiquement vers le sol, puis il ramassa le journal à ses pieds.

- Mlle Torrès, avez-vous appris une mauvaise nouvelle ? demanda-t-il intrigué.

- Oui. Un ami a tiré sur le père de mon bébé avant de se suicider, lâcha faiblement Sarah.

Le médecin lut l'article du journal. Il fut vraiment désolé pour sa patiente.

- Alex va peut-être mourir, ajouta-t-elle.

- Peut-être pas, répondit l'infirmière. Il faut garder espoir.

- Non. Il ne s'en sortira pas. Son pronostic vital est engagé !

Sarah se remit à pleurer. Pour la consoler, le médecin lui promit de se renseigner sur l'état d'Alexander. Il sortit de la chambre et rejoignit son bureau à l'autre bout du couloir. Sarah attendit son retour pendant une heure, le temps qu'il contacte ses confrères et qu'il s'occupe de ses autres patientes. A son arrivée, il s'excusa de son retard, puis il lui donna des informations sur Alexander. Rien qu'en observant son visage, la jeune femme sut immédiatement que les nouvelles n'étaient pas bonnes. Son ex compagnon était plongé dans le coma depuis le drame. Il avait perdu une grosse quantité de sang et les médecins avaient dû recourir à la transfusion sanguine. De plus, la balle lui avait perforé le rein gauche. Sarah versa quelques larmes. Elle se sentit une seconde fois responsable de son état. Si elle n'avait pas dit à Eli qu'il était nazi, il vivrait encore avec ses deux reins.

- Il est dans quel hôpital ? demanda-t-elle la voix toute tremblante.

- Il est dans le même que vous, répondit le médecin.

- Pourrais-je le voir ?

- Pour l'instant non. Il est très affaibli à cause de sa perte de sang. Il vaut mieux éviter le moindre microbe.

Sarah fut déçue par sa réponse, mais elle n'insista pas. Elle remercia le médecin de lui avoir donné des nouvelles d'Alexander, puis s'occupa de son bébé. Il était maintenant l'heure de la tétée. Pendant que Vincent se nourrissait au sein, Sarah se sentit à nouveau responsable de l'état d'Alexander. Et le fait qu'elle ne puisse pas aller le voir pour s'excuser, ne fit qu'accroître sa frustration. S'il venait à mourir, elle vivrait avec des regrets toute sa vie. Pour éviter cela, elle décida donc de désobéir au médecin. Elle fut à la fois égoïste et imprudente. Elle confia son bébé à une aide-soignante, prétendant qu'elle avait besoin de repos, puis elle fit semblant de dormir. Au bout d'un quart d'heure, elle se leva de son lit et se faufila dans le couloir comme une voleuse. Elle chercha le service de réanimation dans tout l'hôpital, en faisant attention aux personnes qu'elle croisait sur son chemin. Elle faillit se faire prendre plusieurs fois. Un infirmier trouva le courage de lui courir après dans le couloir, mais elle réussit à le semer en se cachant dans un vestiaire où étaient pendues les blouses blanches des médecins. Elle eut la brillante idée de se rechanger. Cinq minutes plus tard, elle sortit du vestiaire avec une blouse blanche de médecin. Elle put maintenant croiser le personnel de l'hôpital sans qu'il ne fasse attention à elle. Au bout du couloir, elle arriva dans un hall où étaient indiqués les différents services. Elle lut attentivement les pancartes. Ensuite, elle monta à l'étage supérieur, traversa d'autres couloirs et entra dans le service de réanimation. Elle chercha Alexander dans toutes les pièces. Malheureusement, elle ne fit pas attention à l'infirmière qui se tenait devant elle, elle lui rentra dedans.

- Oups, s'excusa Sarah. Je suis vraiment désolée.

L'infirmière mesurait au moins un mètre quatre vingt. Elle était maigre comme un clou, elle avait les cheveux bruns coupés courts et ses yeux tiraient un peu sur le vert.

- Vous êtes nouvelle ? demanda cette dernière. C'est la première fois que je vous vois.

- Oui, répondit Sarah toute timide. Je dois m'occuper du patient Alexander Muller, mais je ne l'ai pas encore trouvé.

- Oh ! Mais ne vous inquiétez pas, docteur. Je vais vous y conduire.

- Merci beaucoup. C'est très gentil à vous.

Sarah suivit l'infirmière jusqu'à la pièce du milieu, ensuite, elles franchirent la porte.

- Nous y voilà ! Si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas à m'appeler, dit l'infirmière avant de partir.

- D'accord pas de souci. Encore merci, dit Sarah en étant à moitié ailleurs.

Son regard ne lâcha pas le corps d'Alexander, relié à des machines. La pâleur de sa peau lui faisait penser à celle d'un cadavre. Il ne ressemblait plus à l'homme qu'elle avait connu. La jeune femme en fut bouleversée. Pourtant, elle avait déjà vu des corps plus horribles à Auschwitz. Mais le fait qu'il s'agissait du père de son bébé, la rendait encore moins forte psychologiquement. Elle s'approcha de lui pour lui empoigner sa main.

- Je suis désolée. Tout est de ma faute, Alex, pleura-t-elle. Je n'aurais jamais dû dire à Eli que tu étais un nazi.

Elle lui caressa tendrement son visage, en faisant attention aux tuyaux. Puis elle lui déposa un bisou sur la main.

- Même si nous ne pouvions plus être ensemble, j'aimerais tant que tu te réveilles. Je ne veux pas que tu meurs. Tu dois vivre. Les gens ont besoin de toi pour que tu les emmènes aux quatre coins du monde.

Elle ne s'arrêta plus de parler. Elle pria pour qu'il l'entende. Au bout d'un bon quart d'heure, elle fut malheureusement interrompue par un médecin. Elle comprit rapidement qu'il l'avait démasquée, alors elle prit la fuite en le bousculant contre le mur. Elle sortit du service de réanimation comme si le diable était à ses trousses. Elle n'avait jamais autant couru de sa vie. Quand elle arriva dans sa chambre, elle s'effondra sur le lit, à bout de force.

Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant