Sarah et Louis se marièrent en 1949. A vingt-et-un an, la jeune femme portait une longue robe en satin blanc cassé, à manches longues, avec une traîne d'environ quarante cinq centimètres. Quant à Louis, il avait mis un pantalon noir à bretelles et une chemise grise à longues manches. Les mariés se promirent de se chérir pour le meilleur et pour le pire jusqu'à la fin de leurs jours devant le curé. Sarah avait renoncé à sa religion juive, d'une part parce qu'elle en avait honte à cause des nazis et d'autre part, parce qu'elle ne voulait plus être rattachée à ce passé douloureux. A son mariage, il n'eut pas beaucoup d'invités, une petite dizaine, tous des proches et des amis de Louis. Ce dernier ne s'était jamais interrogé pourquoi la jeune femme n'en avait pas. D'ailleurs, elle lui aurait répondu que ses parents et son frère avaient péri dans un incendie d'immeuble. Par contre, il n'arrêtait pas de la questionner sur ses cauchemars incessants la nuit et cela la mettait toujours dans l'embarras. Elle devait à chaque fois lui trouver une excuse bidon pour qu'il la laisse tranquille.
Une fois marié, Louis devint de plus en plus pénible et autoritaire avec Sarah. Il la poussa à quitter son travail de serveuse pour devenir mannequin. A contrecœur, elle finit par céder. De toute façon, avec lui, elle devait toujours se plier à ses quatre volontés, sinon il devenait encore plus infect. Elle, qui croyait avoir trouvé le bonheur en se mariant, s'était totalement trompée sur son avenir. Elle était de plus en plus malheureuse. Elle ne prenait aucun plaisir à poser pour les magazines et elle devait se priver de certaines nourritures. En quelques sortes, elle se retrouvait à nouveau prisonnière, comme si Auschwitz ne lui avait pas suffi.
A la fin de l'année 1949, Sarah se sentit très fatiguée. Elle était toute pâle et courrait régulièrement aux toilettes. Aucun repas ne passait. Au travail, rien ne leur plaisait, ils étaient trop exigeants avec elle. Ses heures supplémentaires ne faisaient que de s'accumuler. A la maison, Louis n'arrêtait pas de lui faire des reproches sur sa façon de cuisiner et de faire le ménage. Avec toutes ces contraintes, ce n'était pas étonnant que la jeune femme se sentait fatiguée et déprimée. Un jour, à la sortie du travail, elle finit par tomber dans la rue sous le regard affolé d'une vieille dame. Celle-ci l'emmena directement chez le médecin.
- Elle a fait un malaise sur le trottoir, expliqua-t-elle à l'homme d'une quarantaine d'années aux yeux marrons et aux cheveux couleur cendre.
- Je vais m'en occuper, lui promit-il.
Il emmena Sarah dans son bureau, puis l'ausculta. Il lui posa des questions sur ses symptômes et ses dernières règles qu'elle n'avait pas eues depuis trois mois. Pour conclure, il lui annonça qu'elle était enceinte. Sarah sortit alors du cabinet en larmes. Elle savait déjà que Louis apprendrait mal la nouvelle. De un, il n'aimait pas les enfants et de deux, il n'allait pas apprécier qu'elle arrête son travail à cause de sa grossesse. Elle rentra chez elle à contrecœur avec la boule au ventre.
- Tu es en retard, fit remarquer Louis sur un ton sec, assis à table. J'attends la bouffe. J'ai faim.
- Je me mets tout de suite en cuisine, répondit faiblement Sarah en enfilant le tablier.
- Où étais-tu ? Tu draguais des mecs ou quoi ?
- J'étais chez le médecin, se justifia Sarah la voix tremblante.
- Pff. Voilà encore la malade imaginaire, cracha Louis.
- Je suis enceinte !
Louis resta un moment pétrifié sur place, ensuite il se leva de sa chaise pour coller une baffe à la figure de son épouse. Les larmes aux yeux, celle-ci eut un mouvement de recul et se tint sa joue rouge.
- Comment as-tu pu me faire une chose pareille ? hurla-t-il hors de lui. Tu sais très bien que je n'en veux pas.
- Je ne l'ai pas fait exprès. C'est un accident, expliqua Sarah toute tremblante.
- Tu es contente, fit-il sur un ton sarcastique. Tu vas pouvoir arrêter de travailler. C'est ce que tu voulais non ?
- Non.
Louis lui jeta des horreurs à la figure avant de sortir de l'appartement. Son absence finit par durer toute la nuit, laissant son épouse dans son chagrin.
Pendant toute sa grossesse, Louis la traita de grosse baleine. Il ne l'accompagna même pas à ses rendez-vous médicaux. Sarah fut souvent seule à l'appartement, il faisait tout pour l'éviter. D'après lui, elle était devenue indésirable et laide. Il préféra coucher avec d'autres femmes que de devoir s'occuper de son épouse.
Sarah accoucha dans la douleur en 1950 à l'âge de vingt deux ans, sans la présence de son mari. La sage-femme eut de la peine pour elle, à la savoir seule et effrayée. Lorsque le bébé vit le jour, ce fut une grande délivrance pour Sarah. Elle pleura de soulagement et de bonheur. Elle fut ravie de tenir son enfant dans ses bras. A son retour à la maison, Louis ne s'intéressa pas à sa fille, il refusa qu'elle porte son nom et laissa à Sarah le choix du prénom. Peinée, la jeune femme géra tout, toute seule. La petite Rose Dreyfus ne manquera de rien avec elle.
Au file des mois, Louis ne s'intéressait toujours pas à sa fille, il rentrait de moins en moins à l'appartement. Et quand il était là, Sarah recevait tout le temps des reproches de sa part. Tu es une très mauvaise mère. Tu es trop grosse. Un jour, à bout de nerfs, la jeune femme finit par lui dire ses quatre vérités en face, bien qu'elle l'aimait toujours autant :
- Tu n'es qu'un égoïste. Tu ne penses qu'à toi-même. Tu préfères sortir que de t'occuper de ta fille. C'est toi le mauvais parent. Tu te comportes comme un gamin. A ta place, j'en aurais honte.
- Ah oui ? C'est moi le gamin ? hurla Louis hors de lui. Je te signale que c'est toi qui fais des cauchemars comme les bébés.
- Les adultes peuvent aussi faire des cauchemars !
- Pas comme les tiens. On dirait une folle quand tu cries la nuit. Tu devrais te faire soigner pour ça. Moi au bout d'un moment, j'en ai marre.
- Je ne suis pas folle, protesta Sarah en larmes. Tu ne peux pas comprendre. Tu n'as pas vécu la même chose que moi.
- Ben oui puisque tu n'as jamais voulu me parler de ton passé. Ben maintenant, tu as tout gagné, je pars !
Ses deux derniers mots frappèrent la jeune femme en plein cœur, elle s'effondra en larmes. Elle comprit qu'il allait demander le divorce. Désespérée, elle le supplia de rester. Louis trouva sa réaction exagérée et ne put s'empêcher de ricaner. Pour rien au monde, il resterait avec cette folle. Il partit de l'appartement avec sa valise, sans jamais se retourner, abandonnant femme et enfant.
Leur divorce fut prononcé en 1951. Sarah avait vingt trois ans et Rose un an. Elles ne reverront jamais Louis.
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Survivre après Auschwitz
Ficção HistóricaSarah Dreyfus, jeune juive, se fait déporter à Auschwitz après dénonciation. Dans ce camp, elle va y vivre l'enfer. Sa vie ne tient qu'à un fil et elle n'en sortira pas indemne. A sa libération, elle devra continuer à vivre avec toute cette horreur...