Chapitre 21

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La première année succédant à la mort de Lucas, Sarah ne tint qu'une seule promesse. Celle de veiller sur les enfants. Elle ne se sentait pas encore capable d'écrire un livre. Son chagrin remportait sur tout le reste. Elle ne prenait plus de plaisir à travailler à la librairie, elle le faisait uniquement pour pouvoir nourrir sa famille, même si Lucas leur avait laissé un gros héritage. Elle ne voyait personne à part les commerçants et les clients. A la maison, elle passait son temps à faire le ménage, à s'occuper des enfants et à pleurer en cachette. Lucas lui manquait terriblement. Son absence se faisait trop ressentir. Elle avait même pensé à vendre la maison pour atténuer cette souffrance, mais Rose s'était opposée à sa décision. La fillette refusait de se détacher de tout ce qui avait appartenu à son père. Depuis la mort de Lucas, elle était devenue fragile et colérique. Quant à David, il croquait la vie à pleines dents. A deux ans, on passait vite à autre chose.En 1958, Sarah reprit un peu du poil de la bête et commença à relever quelques idées pour son livre. Elle avait maintenant trente ans, David trois ans et Rose huit ans. Elle pouvait donc s'occuper de son projet pendant que ses enfants étaient à l'école. En étant très occupée, elle ne pleura plus l'absence de Lucas, mais elle fut profondément bouleversée par les souvenirs d'Auschwitz. Cela la déstabilisa puisqu'elle croyait que ça allait mieux de ce côté-là. Elle se demanda maintenant si son passé n'allait pas encore l'anéantir. Elle ne voyait plus son psychiatre depuis longtemps. Lucas n'était plus là. Il y avait-il des risques pour qu'elle refasse une tentative de suicide ? Non, Sarah refusait que ça se reproduise. Elle allait devoir se montrer forte pour tenir sa promesse sans mettre en péril sa santé mentale. Elle ne décevrait ni Lucas, ni ses enfants. Si elle avait déjà réussi à parler de son passé à deux personnes, elle arriverait à l'écrire sur papier. D'après son mari, l'écriture serait un moyen de thérapie. Elle devait juste reprendre confiance en elle. A cet égard, il allait lui falloir du temps. Cela ne lui aurait servi à rien de se précipiter sur sa plume. Elle reposa alors ses notes sur le bureau, puis se rendit à la cuisine pour préparer les quatre heures. Elle se lança dans la pâte à crêpes. Une fois sa tâche terminée, elle nettoya son plan de travail et partit chercher ses enfants à l'école. Devant les grilles, Rose l'accueillit en faisant la tête, tandis que David sauta dans ses bras avec le grand sourire au bout des lèvres.


- On a chanté aujourd'hui, raconta le petit garçon les yeux pétillants.


- Oh mais c'est génial ! Tu dois avoir une jolie voix, lui dit Sarah. Et toi, Rose qu'as-tu fait ?


- Pas grand chose, grommela cette dernière de très mauvaise humeur.


Sarah eut un pincement au cœur pour sa fille et se demanda si elle retrouverait un jour la joie de vivre. Arrivé à la maison, David se précipita à la cuisine pour manger son goûter. Sa mère dut le forcer à enlever ses chaussures et son blouson. Le petit garçon grogna un peu, mais oublia vite sa frustration lorsqu'il s'aperçut qu'elle leur préparait des crêpes.


- Oh yes ! lâcha-t-il en prenant place sur une chaise.


Il fut le premier servi et dévora sa crêpe avec gourmandise. Rose garda le silence à table. Aucune émotion ne se lisait sur son visage. Elle se dépêcha de manger son goûter, puis elle partit faire ses devoirs. Ce fut au tour de David de sortir de table, laissant sa mère seule dans la cuisine. Celle-ci fit du nettoyage avant de monter dans la chambre de sa fille.


- As-tu besoin d'un coup de main pour tes devoirs ? interrogea-t-elle en passant la porte.


Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant