On était toujours en 1951. Sarah se retrouva avec sa fille d'un an à charge. Elle n'avait plus de travail à l'heure actuelle et elle allait devoir s'en trouver un pour pouvoir payer son loyer et se nourrir. Louis l'avait poussée à quitter son poste de serveuse, de plus, Sarah ne pouvait pas reprendre celui de mannequin. Elle fit alors le tour des entreprises et des industries du coin, mais au final, elle n'obtiendra que des refus. Désespérée et déprimée, elle rentra chez elle avec le cœur très lourd. Cette fois-ci, elle eut l'impression qu'elle ne s'en sortira pas. Personne ne voulait d'elle. Depuis 1940, le scénario se répétait avec les allemands, les français sous Vichy, ses amis d'enfance, le patron du restaurant, ses collègues de la pizzeria, Louis son mari et maintenant les autres employeurs. Du point de vue de Sarah, en onze ans, ça en faisait un peu beaucoup. Il n'y avait malheureusement pas que ses rejets qui lui gâchaient aujourd'hui la vie, mais aussi ses cauchemars à répétition. Ils venaient sans arrêt perturber ses nuits, ne lui laissant aucun moment de répit. Elle se revoyait encore à Auschwitz au milieu des coups et des morts avec l'odeur des fours crématoires dans les narines. A chaque cauchemar, elle hurlait comme une folle. Louis lui en avait fait le reproche avant de partir. Elle effrayait même souvent Rose qui l'entendait très bien depuis sa chambre. Traumatisée par ces hurlements incessants, celle-ci se mettait à pleurer dès que sa mère l'approchait. Sarah ne put s'empêcher de se considérer comme un parasite. Elle n'arrêtait pas de se répéter que le monde se porterait mieux sans elle et qu'elle aurait dû mourir à Auschwitz à la place de sa famille. Au fond d'elle, la culpabilité du survivant ne l'avait jamais quittée.
Au fur et à mesure des jours, sa déprime gagna du terrain et ses cauchemars furent encore plus violents que les précédents. Il lui arrivait même de se taper la tête contre le mur dans l'espoir que ces derniers cessent. Ensuite, la jeune femme se laissait tomber au sol, puis pleurait pendant des heures. Elle n'en pouvait plus de vivre dans ces conditions. Encore en plus, Rose devenait de plus en plus colérique à force de la voir dans cet état de souffrance. Sarah finit par conclure qu'elle serait plus heureuse sans elle. Comme Louis l'était sûrement à l'heure actuelle.
Sarah devint squelettique comme à Auschwitz à force de se priver de nourriture. Elle se leva de son lit uniquement pour s'occuper de sa fille. Elle n'eut plus envie de rien. Et un beau jour, elle prit la décision de se suicider. C'est ce qu'elle aurait dû faire, il y a longtemps, à Auschwitz en s'élançant sur les fils des barbelés, et elle n'aurait jamais connu d'autres rejets, ainsi que ses cauchemars.
Elle déposa alors Rose chez Mme Sylvie Laurent, une voisine aux cheveux roux, puis elle prétendit qu'elle avait un rendez-vous médical à passer. Sa voix était toute tremblante et les larmes coulaient le long de ses joues. Sa voisine trouva aussitôt son comportement bizarre ainsi que ses derniers mots échangés avec sa fille. On aurait dit des adieux. Après son départ, la voisine se dépêcha de prévenir son mari. Ce dernier fila tout droit vers l'appartement de Sarah et la retrouva pendue à un lustre. Sans perdre de temps, il coupa la corde autour du cou de la jeune femme. Il lui fit ensuite le massage cardiaque qui ramena enfin Sarah à la vie. Sous ses toussotements, l'homme robuste de cinquante deux ans pleura de soulagement.
- Pourquoi avez-vous fait une chose pareille ? demanda-t-il une fois qu'elle eut retrouvé ses esprits.
- Je ne supporte plus de vivre, expliqua Sarah sur un ton faible.
- Mais pourquoi ? Vous êtes jeune et belle. Vous avez une petite fille.
Sarah ne prononça plus un mot, elle s'effondra en larmes sous le regard peiné du voisin. Ce dernier la ramena chez lui, puis il échangea quelques phrases avec son épouse. Ils allaient devoir emmener la jeune femme vers un psychiatre. Pour eux, son physique et à sa tentative de suicide prouvaient qu'elle souffrait d'une grave dépression. Et s'ils ne faisaient rien pour la soigner, elle risquerait de recommencer. Lorsqu'ils en informèrent Sarah de leur intention, elle se mit rapidement à paniquer. Elle savait très bien que le psychiatre allait l'interner.
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Survivre après Auschwitz
Ficción históricaSarah Dreyfus, jeune juive, se fait déporter à Auschwitz après dénonciation. Dans ce camp, elle va y vivre l'enfer. Sa vie ne tient qu'à un fil et elle n'en sortira pas indemne. A sa libération, elle devra continuer à vivre avec toute cette horreur...