Chapitre 35

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Il s'appelait Alexander Muller. Nous étions en 1944, il venait  d'avoir dix neuf ans. Son père l'avait fait entrer dans la SS et demain, il travaillera pour la première fois à Auschwitz. Le cœur battant à cent à l'heure, il entra dans le plus grand camp d'extermination nazi. Il ne vit que des miradors, des barbelés et des baraques. Le sol était recouvert de boue. Il y avait du brouillard. La cendre lui tombait sur la tête et l'odeur des morts venait lui chatouiller les narines. A l'intérieur du camp d'Auschwitz-Birkenau, Hans Keller, un SS, âgé de trente deux ans, lui fit visiter les sous-camps ; le camp des hommes, le camp des femmes, le camp des familles, le camp des enfants, le camp de la quarantaine... Ils croisèrent sur leurc hemin des prisonniers qui ne ressemblaient plus à des êtreshumains, mais à des squelettes ambulants. Des kapos les frappèrent avec des bâtons pour qu'ils avancent plus vite.

- Un conseil, ne touche jamais un Juif avec tes mains, lui dit Hans. Tu risques d'être contaminé. Utilise plutôt ce que tu tiens dans tes mains.

Ils marchèrent devant les bâtiments dont les fumées sortaient tout le temps des cheminées.

- Je ne te fais pas visiter les chambres à gaz. Tu auras le temps de les voir lorsque tu y travailleras, poursuivit Hans.

- Ah bon ? Je vais y travailler ? répéta Alexander sous le choc de la nouvelle.

- Bien sûr que oui. Tu vas goûter à tous les postes. Mais rassure toi, ce n'est pas toi qui ramasseras et qui grilleras ces déchets humains. Des sous-hommes font le sale boulot pour nous. Toi, tu auras juste à surveiller et à sanctionner.

Alexander ne fut pas du tout rassuré. Il n'était pas du genre à saliver devant des cadavres, mais plutôt à vomir. Par manque de temps, Hans écourta la visite du camp. Il emmena le nouveau dans un grand bâtiment où logeaient les nazis. Alexander découvrit sa petite chambre, comprenant un lit, une armoire et un bureau. Cela n'avait rien à voir avec les baraques des prisonniers. En étant SS, il avait le droit à ce petit confort.

- Le soir, on organise souvent des fêtes, informa Hans. On s'y amuse comme des fous. On boit, on rit. Tu peux même baiser des prisonnières dans ce camp. N'est-ce pas le paradis ?

Alexander approuva, juste pour donner raison à son camarade. Hans fut satisfait de sa réponse, il le laissa seul dans sa chambre. Alexander défit sa petite valise et rangea ses affaires dans l'armoire. Ensuite, il s'allongea sur le lit pour se reposer un peu. Il finit par s'endormir comme un bébé. Le lendemain matin, il déjeuna en vitesse et se rendit vers son supérieur hiérarchique pour son nouveau poste. Ce dernier l'envoya directement dans le block 11.

- On va voir ce que tu vaux, lui dit le chef SS. Ton travail consiste à frapper les détenus pour les faire parler. Tu peux utiliser toutes les tortures possibles. A la fin, si tu n'obtiens pas des aveux, tu les enfermeras dans la cellule debout.

Horrifié, Alexander dut se mettre au travail très rapidement. Il tortura des hommes et des femmes qui participaient à des complots contre le Reich dans l'enceinte du camp. Il les frappa, les fouetta et les jeta parterre comme des sacs à patates. Il leur chuchota dans l'oreille de garder le silence, afin de préserver cette résistance au sein du camp. Puis il les enferma dans la cellule debout. Il fut satisfait de n'avoir tué personne aujourd'hui. Il faisait attention à ne pas dépasser les limites. Il ne voulait pas avoir leur mort sur la conscience. Le chef se rendit compte qu'il n'était pas assez méchant avec les traîtres car il les laissait tous en vie, alors il redonna ce poste à un prisonnier et envoya le jeune SS travailler dans les chambres à gaz, l'endroit le plus terrible pour les allemands. Les femmes, les hommes et les enfants défilèrent sous les yeux d'Alexander. A aucun moment, ils eurent un mouvement de panique, ils furent juste inquiets. Un homme barbu, âgé d'une soixantaine d'années, jeta un regard rempli de haine contre Alexander avant d'entrer dans la chambre à gaz. Normalement, il aurait dû être frappé, mais à quoi bon s'acharner sur lui, sachant qu'il n'en avait plus pour longtemps à vivre ? Alexander préféra ignorer. Les chiens poussèrent les derniers prisonniers dans la chambre à gaz, puis les SS refermèrent la porte.

- Le spectacle va commencer ! fit Fritz, âgé de trente cinq ans.

Ses camarades allemands ne furent pas autant emballés que lui. Ils y assistaient uniquement parce que le boulot l'exigeait. Mais autrement, ils auraient préféré être ailleurs que d'entendre ces bêtes sauvages hurler à la mort. Un SS monta sur le toit avec un masque à gaz et une boite de Zyklon B.

- Comme tu es nouveau, c'est toi qui seras au premier loge pour regarder le spectacle, dit Fritz à Alexander.

Ce dernier en eut la chair de poule. Le Zyklon B fut vidé dans la chambre à gaz. Ils entendirent les premiers cris. Fritz poussa Alexander à regarder dans le judas. Les gens se bousculèrent et se montèrent dessus. Ils grattèrent les murs, ils essayèrent de défoncer la porte. Les hurlements furent de plus en plus insupportables à entendre. Du vomi et des organes giclèrent de partout. Et d'un seul coup, il n'eut plus aucun bruit. Alexander courut vers les bouleaux pour se vider à son tour. Il resta traumatisé par ce qu'il venait de voir dans le judas. Fritz éclata de rire. Lorsque la porte se rouvrit, les prisonniers vidèrent la chambre à gaz. Alexander n'en dormit plus de la nuit. Il revoyait les images des cadavres déchiquetés et colorés. Il ne pouvait pas comprendre que ses camarades SS puissent faire la fête après avoir assisté à cette extermination de masse. Au bout de quelques jours, Alexander fut transféré dans un autre secteur, Fritz en avait marre de le voir vomir dans les bouleaux. Du coup, il fut chargé de surveiller le camp dans un mirador qui donnait sur le camp des familles. Il prit du plaisir à regarder les enfants s'amuser. Certains se couraient après et d'autres jouaient avec une gamelle en guise de ballon.

- Profite bien de les regarder, lui dit Gunter, un SS avec des dents en moins. Dans une semaine, on les exterminera tous.

Alexander fut secoué par cette information. Il ne voyait pas ces enfants agonisés dans la chambre à gaz. Il eut envie de prendre son arme et de tirer sur ses camarades pour empêcher ce massacre. Mais malheureusement, ils seraient trop nombreux contre lui, et il se ferait automatiquement fusiller. Il allait devoir se rebeller d'une autre façon, plus discrètement. Il gagna alors la confiance des prisonniers en leur faisant passer de la nourriture ou en les aidant à s'évader. Il put même épargner la chambre à gaz à certaines personnes. Il fut tellement discret qu'aucun SS ne s'aperçut de sa trahison. Malheureusement, la plupart des fuyards se firent arrêter autour du camp ou dans les villes voisines. Alexander assista avec regret à leur pendaison. Il vit même son père couper la langue d'un Juif pour le faire souffrir. A partir de ce jour-là, il renonça à être le fils biologique de cette ordure.



Survivre après AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant