Depuis l'année 1952, Sarah avait repris une vie normale. Grâce à ses voisins les Laurent, elle avait pu retrouver du travail. Elle était aujourd'hui vendeuse dans une librairie, ce qui lui permettait de se découvrir une passion pour la lecture, et de se lier d'amitié avec certains clients. Comme elle gagnait maintenant de l'argent, elle emmenait Rose au cinéma. Mère et fille passaient beaucoup de temps ensemble. Elles effectuaient du travail manuel, jouaient à des jeux ou bien cuisinaient. Sarah faisait tout son possible pour rendre Rose heureuse. En dehors du travail et de la maison, la jeune mère célibataire consultait régulièrement le psychiatre pour lui parler de son passé à Auschwitz. Les cauchemars n'avaient jamais cessé, mais elle arrivait à y faire face en s'occupant l'esprit par la lecture. Le psychiatre lui avait dit qu'il n'y avait pas de remède contre ça, Auschwitz lui avait laissé une grosse cicatrice qui resterait à vie.
En 1953, Sarah eut vingt cinq ans et Rose trois ans. La jeune femme venait d'enfiler une robe bleue en ce jour ensoleillé du mois de septembre, puis elle habilla sa fille de sa blouse avant de prendre la route de l'école. Une fois qu'elle eut déposé Rose devant les grilles, elle rebroussa chemin. Elle s'arrêta au bord de la route en face de la librairie pour s'assurer qu'aucune voiture ne passait. La voie étant libre, elle traversa tranquillement la chaussée. Au même moment, un véhicule apparut sur son champ de vision et s'apprêta à la renverser. En état de choc, elle resta malheureusement figée sur place, mais par miracle, elle sentit des mains la ramener sur le trottoir. L'inconnu venait de lui sauver la vie. Sarah succomba rapidement à son charme. Il portait un costume noir qui cachait à peine sa musculature. Ses traits fins au visage firent ressortir ses magnifiques yeux marrons couleur noisette. Ses cheveux bruns et sa barbe naissante le rendaient encore plus séduisant, plus masculin.
- Merci, lâcha-t-elle timidement.
- De rien. Ce fou aurait pu vous écraser. Il était moins une, fit remarquer l'homme.
- Oui. J'aurais pu mourir, réalisa la jeune femme les larmes aux yeux, le corps tout tremblant.
- Venez vous asseoir au café d'en face. Je vous offre à boire pour vous remettre de vos émotions.
- Merci. C'est gentil à vous... Mais je dois aller travailler.
- Où travaillez-vous ? interrogea l'homme.
- A la librairie juste à côté du café.
- Je vais prendre deux cafés à emporter et je vous rejoindrai dans deux minutes.
Il ne lui laissa pas le temps de répondre, il disparut aussi vite qu'il était entré dans sa vie. Sarah ouvrit sa boutique, puis s'installa derrière la caisse pour faire le premier comptage de la journée. L'inconnu ne tarda pas à revenir avec ses deux cafés dans les mains. Son sourire séduisant fit fondre le cœur de Sarah. Toute rougissante, elle l'invita à s'asseoir autour d'une table ronde où les clients se posaient parfois pour bouquiner. En buvant son café, elle fit la connaissance de cet homme irrésistible. Il s'appelait Lucas Torrès, il avait quarante ans et il était juge en Cour d'Assises. Sa voix était tellement douce que Sarah eut du mal de se l'imaginer dans une salle d'audience face à des criminels. Avec lui, elle ne vit pas le temps passé, tout ce qu'il lui disait, l'intéressait, c'était un homme très cultivé et très ouvert. Pour l'instant, elle ne lui trouva pas le moindre défaut, devait-elle s'en inquiéter après son histoire désastreuse avec Louis ? Elle se sentit soudainement stupide de penser à ça, bien qu'elle ne sortait même pas avec Lucas. De plus, il l'oublierait très vite, puis il se marierait avec son amie d'enfance. Décidément, ses hormones lui faisaient perdre un peu la tête. Elle reprit alors ses esprits et écouta Lucas très attentivement. Mais hélas, elle fut vite interrompue par l'arrivée de son premier client.
- Je vais vous laisser travailler, annonça Lucas en se levant de sa chaise.
Sarah fut triste de le voir déjà partir. Elle s'était vite attachée à lui et elle se doutait bien qu'elle ne le reverrait plus.
- Je repasserai vous voir, promit il avec le sourire.
Il la salua avant de partir. Sarah se demanda du fond du cœur s'il allait tenir sa promesse. Il y avait bien longtemps qu'elle ne croyait plus au Père Noël, donc elle n'en espérait pas tant. Lucas aurait d'autres choses à faire que de lui rendre visite. Elle devait l'oublier. Ce qui fut impossible pour une femme comme elle, qui n'arrêtait pas de penser à lui toute la journée. Même au cours de la soirée avec sa fille, elle l'avait encore dans sa tête. Elle se trouvait étrangement bizarre, sur un petit nuage, au pays des merveilles. Le lendemain matin, Lucas tint sa promesse et passa la voir à la librairie. Sarah semblait vraiment heureuse. Ses sentiments pour cet homme ne cessèrent de s'accroître. Elle supportait de moins en moins ses absences. D'ailleurs, lui aussi paraissait vraiment heureux de la revoir puisqu'il venait même tous les jours prendre son café auprès d'elle avant de retourner à son travail. Au bout d'un mois, ne tenant plus, il finit par lui avouer ses sentiments. Sarah fut alors la plus chanceuse des femmes et se laissa prendre dans ses bras, puis embrasser sur la bouche.
- Je t'aime, lui murmura-t-elle.
A partir de ce jour-là, Lucas et Sarah vécurent le grand amour. En dehors de leur travail, ils ne se quittèrent plus, mangèrent dans des restaurants et se rendirent au cinéma. Sarah finit par lui présenter Rose. Le courant passa merveilleusement bien entre son petit ami et sa fille. Ils parlaient et jouaient beaucoup ensemble. Lucas adorait les enfants. Il espérait en avoir un jour avec Sarah. Au bout de cinq mois de relation, il la demanda en mariage. Un peu réticente, cette dernière lui parla de sa précédente union avec Louis, mais Lucas finit par la faire changer d'avis en la rassurant du mieux qu'il pouvait. Sarah fut maintenant heureuse d'être fiancée à cet homme.
A la fin de l'année 1953, Lucas découvrit son tatouage sur le bras.
- D'où vient-il ? demanda-t-il intrigué.
Toute tremblante, Sarah préféra repousser cette discussion à un autre jour, prétendant qu'elle était fatiguée, puis se rendit rapidement au cabinet de son psychiatre. Elle lui avoua qu'elle allait se remarier. Ce dernier ne put s'empêcher de la féliciter, mais il voyait très bien qu'il y avait quelque chose qui la tracassait, alors il se mit à la questionner.
- Je ne lui ai pas parlé de mon passé. Il a pourtant vu mon tatouage, expliqua-t-elle.
- Mais pourquoi ?
- J'ai peur de sa réaction. De l'effrayer. Il ne sait même pas que je fais des cauchemars. Nous n'avons encore pas dormi ensemble.
- Vous n'avez jamais rien dit à Louis et il vous l'a reproché. Ne commettez pas cette deuxième erreur avec votre futur mari. S'il vous aime, il ne s'en sauvera pas. Il vous épaulera.
Sarah reconnut que le psychiatre avait parfaitement raison. Elle partit du cabinet avec le cœur plus léger. Le soir même, après avoir couché Rose, Sarah invita son futur mari sur le canapé pour une bonne discussion. Toute tremblante, elle lui raconta son passé, de la traque des juifs jusqu'à Auschwitz. Les larmes aux yeux, Lucas fut tout ému de son récit et la serra fort contre lui pour la réconforter. Il eut beaucoup de peine pour sa fiancée. Il avait déjà entendu parler de ce camp polonais, mais il n'aurait jamais cru qu'on y vivait toute cette horreur. Il avait été trop pris par son travail pour s'y être intéressé. A la fin de son récit, Sarah fut soulagée d'avoir pu partager ses lourds secrets avec l'homme de sa vie sans qu'il n'ait eu besoin de prendre la fuite. Lucas était vraiment son âme-sœur, son confident. Elle espérait pouvoir le garder auprès d'elle toute sa vie.

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Survivre après Auschwitz
أدب تاريخيSarah Dreyfus, jeune juive, se fait déporter à Auschwitz après dénonciation. Dans ce camp, elle va y vivre l'enfer. Sa vie ne tient qu'à un fil et elle n'en sortira pas indemne. A sa libération, elle devra continuer à vivre avec toute cette horreur...