Chapitre 3

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Namjoon quittait une fois de plus le gymnase avec ce goût amer.

L'entraînement s'était pourtant bien déroulé: ses élèves étaient tous présents, à l'heure. Ils s'étaient tous donnés du mal pour suivre ses consignes et essayer de progresser.

Mais le hic était là : ils essayaient de progresser. Chacun faisait tout son possible, Namjoon y compris, mais c'était comme si des nuages invisibles les étouffaient, les empêchaient de monter, de s'épanouir. Leurs coups restaient trop hésitants, trop maladroits, pas assez décisifs. Leur jeu de jambes était trop lent, leur instinct de combat inexistant.

Namjoon savait reconnaître la médiocrité quand il la voyait.

Il la connaissait bien, elle était son présent et son passé. Lui-même comme boxeur, avant, et maintenant ses élèves.

Il espérait encore que son futur, lui, ne soit pas médiocre.

Mais combien il était douloureux d'être lucide. Combien il est douloureux de savoir intimement, malgré tout ce qu'on affirme, malgré tout ce qu'on fait semblant de croire, malgré tout ce qu'on jette à la face d'un Seokjin, que les cartes qu'on a en main ne sont pas suffisantes. Qu'elles ne seront jamais suffisantes pour gagner, pour laisser derrière soi cette médiocrité.

A moins d'un miracle, à moins d'un joker qui vienne changer la donne.

A moins que Namjoon ne trouve son Jimin.

Et il rageait de penser, une fois de plus, combien il était injuste que ce soit Seokjin que Jimin ait choisi, la première fois qu'il était venu au gymnase, quand il s'était présenté à Hoseok. Il rageait de ce choix qui n'en était pas un. Il rageait d'autant plus de savoir que c'était lui, Namjoon, qui avait sciemment refusé d'entraîner Jimin dès le départ. Un regard avait suffit pour le fourvoyer, pour lui faire rejeter le gamin trop maigrelet.

Combien il s'en mordait les doigts aujourd'hui. Et combien il haïssait Seokjin de n'avoir pas eu, lui, ce préjugé. Pour avoir laissé sa chance au gamin, pour avoir su voir les muscles sous la finesse, la volonté dans le regard, l'intelligence derrière la requête incongrue : on ne commence pas la boxe à 17 ans, surtout quand on est champion de course.

Namjoon n'avait pas compris, avait pris cela pour un caprice. Il ne comprenait pas mieux aujourd'hui mais savait maintenant, après deux ans d'entraînement, qu'il n'y avait nul caprice. Car le résultat était là : Jimin était à deux doigts de briller en boxe comme il avait brillé en course.

Bien sûr, Namjoon aurait pu accepter pour l'argent, à l'époque, sans se préoccuper des victoires possibles. Comme il le faisait aujourd'hui, bien malgré lui. Mais à l'époque il y croyait encore, à cette victoire d'un de ses boxeurs qui lui apporterait la gloire, la revanche sur son passé.

La revanche sur Seokjin.

Cette victoire qui lui permettrait enfin d'éponger sa dette, aussi. Cette dette, immense, faramineuse, qui le suivait depuis ses premiers jours d'entraînement. Depuis que Melesias l'avait pris sous son aile, avait accepté de l'entraîner gratuitement. « Tu me rembourseras avec l'argent de tes victoires » avait-il dit. Namjoon l'avait cru. Il avait cru en ces victoires, en ce talent que tous disaient voir en lui. Un enchaînement volontaire.

Et des victoires, il y en avait eu. Des petites, des locales. Des victoires qui devaient être un échauffement ou un tremplin, mais qui n'avaient jamais eu de suite. Namjoon n'avait jamais réussi à aller plus loin, à gagner ailleurs qu'à Athènes.

L'espoir s'en était allé. La dette, elle, étouffante, était restée.

Cela n'avait pourtant rien d'étonnant. Ils étaient si peu d'élus à faire une vraie carrière, à gagner aux jeux panhelléniques, à Olympie, Delphes ou Némée. Pas Corinthe, on n'y faisait pas de boxe. Sur les six élèves de Mélésias, pourtant le meilleur entraîneur d'Athènes de l'époque, seul un avait réussi.

À corps perdus  [yoonminkook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant