Chapitre 4

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Après l'odeur de l'iode, le sable dans les sandales, les embruns sur les lèvres, c'était le tourbillon de la ville.

Les cris des enfants et des marchands, les odeurs de fruits, de poissons ou de pain au four, le soleil reflété sur les murs et les tuniques blanches, tout l'étourdissait, tout le pénétrait pour prendre peu à peu possession de lui, de ses sens, pour endormir ses pensées. La ville engourdissait, la ville engloutissait.

Et Jungkook se laissait volontiers dévorer.


Il avait cru trouver la quiétude, panser ses plaies d'âme et de corps en quittant la ville, en rejoignant la mer. Mais au lieu de cette solitude espérée, il s'était retrouvé face à la proposition la plus incroyable qu'on lui ait jamais faite.

Ce type, ce Namjoon, était un dieu ou un démon, Jungkook ne savait pas encore. Mais l'offre qu'il lui avait faite tournait en boucle dans sa tête, s'infiltrait insidieusement dans son cœur pour y placer cette graine minuscule mais si dangereuse : l'espoir.

L'espoir de sortir un jour de cette vie de luttes quotidiennes, pour un peu d'huile, un peu de pain, des fruits parfois.

L'espoir de rendre fier son père, sa mère, le quartier même.

L'espoir fou, interdit, de sortir un jour de tout ça. De s'extraire de cette vie de répétitions, d'inquiétude pour le lendemain, de rage de ne pas faire autre chose.

Namjoon avait planté en lui l'espoir et Jungkook le détestait pour cela.



Alors il lui avait dit non.

La mine décomposée de l'entraîneur, persuadé que son beau discours et ses explications détaillées portaient leurs fruits, avait un instant masqué la peine de Jungkook, l'avait fait rire ouvertement.

- Réfléchis quand même encore, avait lancé Namjoon avant de s'en aller d'un pas fier, de la colère au fond des yeux.

De la colère, et autre chose aussi, de plus étonnant pour Jungkook. Une déception intense, qui avait éveillé un écho chez lui, une légère sympathie. Jungkook connaissait bien ces chutes brutales, ce rappel à la réalité après un espoir trop caressé.

C'était justement pour ça qu'il avait refusé.

Rien ne servait de rêver si c'était pour souffrir après ! Jungkook les connaissait ces gens, qui promettaient monts et merveilles, mais se contentaient de les utiliser, eux, avant de les jeter comme des chiens. On ne l'y prendrait pas cette fois.


Mais pourquoi ne réussissait-il pas à s'enlever cette pensée de la tête ?

Boxer. Pour de vrai.

Comme ceux qu'il voyait sur les vases et les assiettes que sa mère se tuait à fabriquer, en statues devant les gymnases ou frappés sur des pièces d'argent.

Gravés sur ce médaillon, aussi, qu'il avait trouvé un jour, dans la boue de la rue, perdu par un passant. Ce médaillon qu'il avait gardé jusqu'à aujourd'hui, qu'il se plaisait à caresser du bout des doigts, parfois. Le visage défiguré du boxeur, ses poings enserrés dans des lanières, ses muscles saillants. Le pli qui barrait sa bouche. Menelas d'Athènes gravé sur le pourtour. Un ancien boxeur de légende, dont tout le monde parlait ici dans le quartier, sans l'avoir jamais vu.

Jungkook pourrait-il un jour devenir une légende, lui aussi ?

Il rit à cette pensée stupide.

Sa maison était là, devant lui, il était arrivé. Une maisonnette minuscule, au blanc et bleu écaillés que le propriétaire ne voulait jamais repeindre. Une maisonnette minuscule mais qui contenait tout ce qu'il avait, ses quelques trésors et surtout sa famille.

À corps perdus  [yoonminkook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant