Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas suivi ces ruelles.
Plusieurs années. Quatre exactement.
Cela semblait si loin mais si proche à la fois, les souvenirs gravés à tout jamais en lui.
Seokjin soupira, regretta un instant de ne pas être venu en palanquin au vu de l'état de ses sandales, puis se rappela qu'il ne voulait pas qu'on jase.
Mais tout de même... Il jeta un œil vaguement dégoûté autour de lui, observa tour à tour la boue qui recouvrait le sol, les murs des bâtiments, plus gris que blancs, les gens qui se pressaient autour de lui. Était-ce aussi sale à l'époque ? On le bousculait chaque fois, on l'apostrophait lorsque, le souvenir devenu vague, il devait s'arrêter entre deux ruelles pour réfléchir et choisir la bonne direction, et que ses pensées partaient à divaguer.
Il aurait pourtant pu y aller les yeux fermés, avant.
Avant...
Lorsque ses pas le conduisaient tous seuls vers l'objet de toutes ses attentions. Lorsque son cœur battait plus vite à la seule idée de qui il allait retrouver.
Lorsque Seokjin passait encore ses journées chez Namjoon.
La fumée d'un four à l'entrée d'une cour un peu plus loin, des gens attroupés à faire la queue, d'autres qui repartaient les bras chargés de pains. Seokjin sourit : il ne s'était pas perdu. Combien de fois étaient-ils venus ici, Namjoon et lui, prendre des mazas avant de retourner chez Namjoon pour les déguster avec un peu d'huile ? C'était ces galettes d'orge, ou parfois les gâteaux que Seokjin emportait de chez lui, dérobés au vu et au su de la cuisinière qui savait passer outre les chapardages de ce genre.
Gâteaux ou mazas trempées dans l'huile, les deux avaient la même saveur pour lui. La même saveur pour Namjoon aussi, peut-être.
Le goût de l'amitié, le goût du partage de tous les petits riens. Le goût des joies intenses comme des tristesses les plus profondes, aussi.
Seokjin se souvenait encore du désespoir de Namjoon à la mort de sa mère. Les larmes, effondré dans ses bras, les gestes qui tentaient d'apaiser, de combler l'absence. Ses larmes à lui qui coulaient, aussi, à voir la tristesse de celui qu'il aimait plus que tout.
Très vite, le père de Namjoon, désespéré de la perte de sa femme, était reparti dans sa campagne d'origine avec les enfants plus jeunes. Très vite, Namjoon s'était retrouvé seul.
Seul avec Seokjin.
Seul avec son rêve de boxe.
Seokjin hésita, regarda la position du soleil dans le ciel, interrogea son estomac et décida qu'il avait faim. Il prit sa place dans la file, attendit plus ou moins patiemment son tour.
Namjoon était alors resté seul dans la maisonnette, à l'époque, à suer à travailler en journée pour payer le loyer, pour envoyer de l'argent à son père. À boxer le reste du temps, dans l'espoir d'une victoire qui ferait tout changer.
Jamais il n'avait voulu de l'aide de Seokjin, dont la famille était bien plus riche.
Alors Seokjin avait rusé.
À l'époque, c'était plus difficile : Seokjin ne pouvait parler de cette amitié déclassée, de son lien si fort avec ce garçon du peuple, son père ne l'aurait pas accepté. Il n'aurait jamais pu lui demander d'aider Namjoon. Alors Seokjin s'était contenté du peu d'argent qu'il recevait pour ses plaisirs, mais l'avait entièrement consacré à Namjoon, sans le rendre trop évident.
C'était les babioles ramenées, les gâteaux, les nouvelles cestes - "j'en ai en double". Les fruits du jardin, les légumes "oui oui, du jardin aussi". Le manteau oublié, puis encore oublié la fois suivante, puis finalement qui restait là et que Namjoon avait commencé à porter l'hiver venu.
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À corps perdus [yoonminkook]
FanfictionAthènes, Ve siècle avant JC Jungkook découvre qu'il aime la boxe, même s'il déteste ceux qui en font. Jimin veut comprendre d'où il vient à force de coups de poings. Et Yoongi s'est perdu en route, après un combat de trop. Une chronique de la décou...
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