Chapitre 1

191 12 1
                                    




« Comme chaque année à la Toussaint, dans le vent et le froid, le village fleuri de Kœnigsmacker, en Moselle accueille le festival champêtre du givre et des fleurs. De toute la région, des agriculteurs, des horticulteurs et autres amoureux de la nature viennent animer et profiter de ce moment convivial, et malgré la météo peu clémente, l'ambiance est chaleureuse ! »

Luc abaissa la caméra :Tu es sûr de ton accroche ? C'est une chaîne locale qui nous demande la couverture de l'événement, hein, c'est pas la gloire qui nous attends... Luc regarda autour de lui. C'est des vieilles pâquerettes !

-Fais pas ton rabat-joie, Luc, s'il te plaît. On a bien assez de mal à trouver des clients ce mois-ci pour ne pas profiter de cette petite sauterie. Je sais que c'est pas l'idéal et que la couverture ne nous rapportera pas grand chose, mais mieux vaut être cité dans un bled paumé pour un festival que personne ne connaît, plutôt de ne pas être payé. Et puis, on est pas à l'abri qu'il se passe quelque chose de sympa, pas vrai ?

-Oui, tu as raison. Bon, recommence ton intro, l'audio est pas top avec les enfants qui jouent derrière, allons sur le parvis de l'église, tu auras tout le marché dans ton dos.


*


Les mots, indistincts, psaumes et chants religieux profanes, résonnaient dans les rues. Ils étaient sortis de l'ombre, sortis des ruelles et des impasses, soutanes et capuches cachant leurs visages. De longs sceptres portant des bougies s'avançaient, droits, pointés vers le ciel, à mesure que leurs pas rythmaient leurs prêches démoniaques. L'armée allait intervenir, les intercepter, les arrêter, coûte que coûte. Il le fallait.

*


A l'abri derrière un mur de béton, il jetait des regards affolés aux alentours. Il n'y avait rien d'autre que des bruits de pas au loin, perdus dans un labyrinthe. Son attention se reporta vers celui qui se tenait à ses côtés et qui parlait de plus en plus doucement.

-J'ai froid, J. J'ai froid...

-Non, non, t'as pas froid. T'as bien chaud au contraire. Tiens-toi bien, vas-y, mets-toi contre le mur, là. T'as pas froid du tout, regarde, tu as un beau plaid beige pour pas avoir froid.

-Il est rouge, ton plaid, J, il est rouge.

*


-On n'a jamais vu ça, dit Sara en s'avançant devant les écrans où ses collègues du monde entier l'observaient. On n'a jamais vu ça ! Une horreur pareille, ça ne devrait pas arriver et il est grand temps qu'on se mettre au travail. Je vous préviens que le premier qui l'ouvre et me parle de dieu ou de diable, je prends l'avion et je lui en colle une. On est des scientifiques, bon sang.

-Professeur Landouse, l'étude préliminaire indique un rayon de 1,4152342 kilomètres d'attraction pour un rayon de 2,230 mètres.

-C'est stable?

-Je ne saurais vous dire, Professeur... Les premiers témoignages parlent d'un objet de trois centimètres de diamètre à l'origine, mais cette information ne peut être vérifiée.

-L'objet aurait donc grandi tant que ça en si peu de temps ?

-En une heure, oui. Depuis, elle ne bouge plus. L'armée n'a détecté aucune activité à sa surface, mais nous n'avons que peu de retours pour l'instant.

-Envoyez-moi ce colone qui m'a été présenté ce matin, nous avons besoin de plus de relevés.

-Il est déjà là, Professeur Landouse.


*

Les couloirs s'enchaînaient avec une épuisante régularité. Taillés, sculptés, déposés par des machines, ils constituaient un vrai labyrinthe. Johan et les deux derniers membres de son escouade couraient en suivant l'architecture complexe de lignes au sein du dédale. L'algorithmie nécessaire à décoder leur enchevêtrement permettait de trouver le centre, ou encore de le fuir. Le sol se faisait lourd, de plus en plus lourd et leurs pas leur demandaient de plus en plus d'efforts. D'autres lignes que celles des murs, sur le sol cette fois-ci, rouges et irrégulières, les suivait à la trace.


*


-Bonjour Sergent Malosane.

-Bonjour docteur, dit-il en saluant l'officier médical de l'armée qui l'attendait dans son bureau.

-Comment vous sentez-vous, depuis notre dernier rendez-vous, sergent ?

-Bien, docteur. Je me sens bien, ajouta Malosane en regardant l'homme en blouse blanche droit dans les yeux.

-C'est noté. Qu'en est-il de vos rêves ? Vous avez toujours du mal à vous endormir le soir ?

-Plus aucun rêve étrange. Je dors comme un bébé, docteur, si vous me pardonnez l'expression. Je me sens reposé dès que je me réveille. Plein d'énergie, docteur.

Les cernes épaisses et profondes sous les yeux du soldat démentaient ses paroles, mais son ton avait un petit quelque chose de convaincant. Une assurance que le docteur ne lui connaissait pas. Il avait changé.

*

L'un des chercheurs du centre ouvrit violemment la porte de la salle de repos. A l'intérieur, tous étaient exténués. Les derniers jours avaient été de longues suites d'anxiété, de peur et de café. Son corps n'était qu'une flaque de sueur et de crasse ; ils l'étaient tous. Sara voyait son reflet dans le visage de tous ses collègues.

-Docteur Landouse, le nouveau béton est prêt. Aucun composé organique carboné à l'intérieur. Les premiers tests sont formels. Il résiste !

Tout d'abord une vague d'incompréhension, un silence pesant. Ensuite, paire par paire, les yeux de tout le monde s'écarquillèrent et un torrent de hourras se propagea dans la salle, on jeta même des couvre-chefs dans les airs, si heureux de savoir qu'un progrès pouvait être fait.

L'euphorie fut de courte durée, car lorsque les bips successifs et en canons des sismographes se propagèrent parmi les cris et les félicitations, les rires moururent et firent de nouveau place à des visages terrifiés. Les relevés, vomis par les nombreuses machines du centre de recherche international qui s'étaient soudainement remises en marche.

Ils indiquaient des faits alarmants : l'activité sismique avait repris.

La SphèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant