Chapitre 34

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La journée de marche fut éprouvante. La nuit commence à tomber et nous avons décidé d'établir un camp dans une grotte. Je me rends compte que le terrain rocheux de la forêt est d'une grande aide pour se protéger de nuit. Si nous avions dû installer le camp en pleine forêt ou dans une clairière, nous n'aurions pas pu faire de feu au risque d'attirer toutes les créatures environnantes désireuses de faire un festin ou uniquement désireuses de faire couler le sang, le nôtre en l'occurrence. Avant qu'il ne fasse trop sombre pour se déplacer en forêt, je propose que deux personnes partent chasser, que deux autres cherchent du bois pour le feu et que les autres préparent le camp et surveillent notre nouveau prisonnier. Je lance un coup d'œil à l'elfe, il est assis et tient son bras blessé comme il peut pour soulager la douleur, je suppose. Il me fait de la peine. Sans que je comprenne pourquoi j'éprouve de la compassion pour une personne qui a essayé de nous tuer. Je regarde alors Mélya, elle n'a plus une séquelle de la flèche qu'elle a reçue précédemment et je dois ce miracle à mon frère. Ses talents de guérisseur sont plus utiles que je ne l'aurais pensé de prime abord.

Le ton monte entre Ayden et Éros qui jugent tous deux être plus aptes à chasser que l'autre. Ce débat stérile me fait lever les yeux au ciel. J'essaie de réfléchir le plus intelligemment possible. Il est préférable de ne pas laisser Éros chasser avec Ayden ou même avec Eryk étant donné les relations conflictuelles qu'ils entretiennent. Léandre est un atout de taille et je ne voudrais pas qu'il se blesse alors je préfèrerais qu'il reste au camp. Éros est prince et il est le dernier espoir de la Nostraria afin de sortir de la tyrannie du roi Horos alors il devrait rester également. Mélya a été blessée aujourd'hui alors je juge qu'elle a le droit à un peu de repos. Je déclare d'une voix ferme qui ne permet aucune contestation.

— Éros, Léandre, Mélya et Gaspard, vous restez au camp afin de le préparer et de surveiller notre prisonnier, j'observe l'elfe. Essayez d'apprendre son nom. Cléo et Eryk, essayez de trouver du bois sec. Avec Ayden on s'occupera de la chasse.

Cléo et Eryk acquiescent et se mettent déjà en route. Éros et Léandre ouvrent la bouche au même moment, je leur lance un regard lourd de sens. Je sais qu'ils détestent l'idée de ne rien faire, mais je ne suis pas idiote au point de les laisser s'exprimer et surtout de laisser le soleil décliner au point que l'on soit obligé de chasser de nuit. Ayden lance un regard victorieux à Éros qui n'aide pas du tout mes affaires. Je n'ai pas uniquement choisi Ayden pour ses talents de chasseur, je veux avant tout lui parler de l'offre d'Ignace et de l'Edryae.

Léandre décide quand même d'intervenir en me tirant par le bras et en baissant la voix pour ne pas être entendu par le reste du groupe.

— Hestia je ne suis pas sûr que ce soit le plus judicieux...

Il regarde Ayden avec une méfiance non voilée. Je sais que mon frère essaie de me protéger et qu'il n'a aucune confiance en Ayden, notamment parce que c'est un Edryen, mais j'ai l'impression qu'il oublie vite que j'ai choisi mon camp. Celui de l'Edryae ce qui fait de moi une personne de peu de confiance à ses yeux. Plus il m'exprime sa méfiance, plus je me sens proche de l'Edryae. Je lance en souriant :

— Et tu as peur de quoi, qu'il me fasse du mal en forêt ?

Il acquiesce en fronçant les sourcils. Je ris légèrement et lui dis :

— Si tu savais le nombre de fois où je me suis retrouvée seule avec lui, le nombre de fois où il a eu l'occasion de me tuer, tu ne serais pas aussi inquiet.

— Ce que tu dis ne me rassure pas vraiment...

Il baisse encore d'un ton comme pour me faire une confession en lançant un regard a Ayden.

— Surtout qu'il te regarde comme s'il attendait quelque chose de toi.

Intérieurement, je me dis qu'Ayden doit attendre beaucoup de choses différentes de ma part. L'une d'entre elles étant qu'il souhaite m'entendre dire que je l'aime... Mais je suis incapable de lui dire une telle chose. En pensant à ça je regarde Éros, il me semble de plus en plus évident qu'il est mon âme sœur, mais je ne suis pas prête à lui dire. Ayden dévisage le prince de Nostraria avec une haine évidente. Ce dernier feint la nonchalance, mais sa mâchoire crispée m'indique que la présence du second d'Ignace l'importune. Je n'ai même pas encore dit à Éros qu'Ayden m'a avoué ses sentiments. Est-ce vraiment utile ? Ça ne risque que de créer des tensions encore plus présentes qu'elles ne le sont actuellement ? Pourtant je ne peux m'empêcher de penser qu'Ayden est au courant des sentiments qu'éprouve le prince... Ce qui ne met pas les deux hommes sur un pied d'égalité.

Je reviens à ma conversation avec Léandre. Le fait qu'Ayden attende quelque chose de moi... Il attend également que je devienne l'héritière de son pays et je suis sur le point de lui dire que j'accepte. J'ai du mal à le croire, j'ai l'impression de n'être personne. Et pourtant je suis en train de diriger une expédition en direction de la montagne du dragon ou de la porte des enfers.

— Il n'attend rien de moi. C'est juste mon ami et je lui fais confiance donc si tu tiens à moi tu n'as pas à te méfier, juste à croire en ce que je te dis.

— Hestia, tu crois qu'on n'a rien remarqué... Tu n'es partie que quelques mois et tu reviens avec un tatouage. Tu t'entends bizarrement trop bien avec un Edryen. Ils t'ont fait quoi ? Ils t'ont lavé le cerveau ?

— Ils ne m'ont pas lavé le cerveau. Ils ont été honnêtes avec moi, ils m'ont expliqué leur version de la grande séparation. En plus, ils ont été adorables avec moi, je ne me suis jamais sentie prisonnière contrairement à la Nostraria ou j'ai dû fuir une vie d'asservissement au roi Horos, je te rappelle. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je vais chasser pour qu'on puisse avoir un peu de viande ce soir.

Je commence à m'éloigner de lui, mais après une dizaine de pas, je souris et me retourne en levant mon bras droit et j'ajoute en parlant plus fort pour le provoquer :

— Au fait, merci ! Moi aussi je l'adore ce tatouage.

Il est sous le choc et je lui envoie un baiser de la main. Dès que je me retourne, je perds mon sourire et attrape mon arc et mon carquois avec véhémence. Je fais un geste à Ayden qui m'imite et on part en direction de la forêt. En partant, je croise le regard d'Éros. Il est indéchiffrable. Quand je suis sur le point de détourner les yeux, je remarque que les siens se baissent pour analyser mon tatouage.


Le Joyau de Nostraria, Tome 2 : Le secret de l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant