Chapitre 54

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La fête bat son plein dans la salle, je me suis sentie tellement oppressée par les dizaines de nobles venus me rencontrer que je suis sortie sur le balcon. Fëanáro attend depuis le début des festivités sur ce balcon. Il était évident qu'il ne pourrait pas entrer dans la salle de bal. Le voir apaise un peu mon cœur, je m'avance vers lui pour lui offrir une caresse et marche sur ma robe. Je repousse le jupon violemment en pestant sur la longueur de ces robes de princesses. Cette robe magnifique m'est détestable, elle me fait affreusement penser à la période où j'étais prisonnière au palais de Nostraria. Je revois Éros me dire que je suis ravissante. Je le revois me dévorer du regard. J'en viens à regretter ces moments. J'ai envie de prendre ma dague à rouelle et de découper cette robe en mille morceaux, mais j'arrive finalement à me contenir.

— Eh bien, ça fait beaucoup d'injures juste pour une robe. Qui te sied à ravir au fait.

— Ouais, bah elle le mérite. Je renifle.

Léandre me sourit gentiment et s'approche de moi pour s'accouder à la rambarde. Il s'est placé à distance du petit dragon que je caresse actuellement. La plupart des invités n'ont pas osé sortir en s'apercevant que mon dragon était assis sagement sur la rambarde à m'attendre. Un silence s'installe entre nous. Je ne sais pas quoi lui dire, j'ai l'impression de ne plus pouvoir me confier a lui. Il prend finalement la parole :

— Je suis désolé. Pour tout. Ce que je t'ai dit, ce que j'ai fait et ce que tu as subi. Ça n'excuse rien, mais Cléo avait réussi à me retourner le cerveau...

Un nouveau blanc s'installe. Je prends ses excuses, les assimile, mais décide de garder le silence. Je ne sais pas si je suis encore prête à le pardonner, mais je sais que j'en ai envie. Il reprend :

— Tu... Comment tu vas ?

— À ravir ! je réponds en forçant mon plus beau sourire.

— Non... il paraît défait. Ne fais pas ça avec moi, ne me dis pas que ça va quand tout le monde s'aperçoit que ce n'est pas le cas.

— Et qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ?

— Je ne sais pas... que tu évacues ce que tu ressens.

— Je ne ressens rien.

— C'est faux, je suis sûr qu'il te manque autant qu'à moi, voire beaucoup plus. Il était mon meilleur ami, mais il était ton...

— Ne dis pas qu'il « était ».

Je ne supporte pas de l'entendre, je sais que c'est le cas, mais le dire à voix haute rend sa mort encore plus tangible.

— Mais c'est ce qu'il était. Il n'est plus là. Il fait une pause. Hestia... Tu n'as pas pleuré depuis sa mort, pas une fois.

Je déglutis péniblement, c'est vrai qu'aucune larme n'a voulu sortir. Je reste dans le contrôle constant, je sais que si je me laisse aller à la tristesse je ne me relèverais peut-être pas avant des jours. Pour le moment, je ne peux pas laisser ses émotions me submerger. Comme aime à me le rappeler Ayden, j'ai des responsabilités. J'espère secrètement qu'à force d'ignorer mes sentiments ils vont se tarir.

— Mais qu'est-ce que tu en sais ?

— Je te connais. Et au moment où tu aurais pu pleurer, tu ne l'as pas fait. Tu es resté allongé pendant six heures sans rien dire, ni rien faire. À un moment, on s'est demandé si tu n'étais pas morte.

— S'il te plait, ne me force pas à en parler. Ne fais pas comme tous les autres.

— Mais je ne suis pas comme eux. Je sais ce que tu ressens, il me manque aussi. Tu n'es pas obligée d'en parler, mais je voulais juste que tu saches que tu n'es pas la seule à souffrir et que je n'ignore pas ta peine. Et moi, je crois que j'ai besoin d'en parler... Est-ce que tu penses pouvoir entendre ce que j'ai à dire ou que ce sera trop dur pour toi ?

Je relève brusquement la tête vers mon frère. Je lis la souffrance dans ces yeux. Je hoche la tête sans ajouter quoique ce soit. Alors il se met à parler d'Éros, de son meilleur ami. Il me parle de leur rencontre ainsi que de leur entraînement où mon frère finissait toujours le cul à terre. On arrive à rire, ce qui m'étonne, je ne pensais pas entendre ce son sortir à nouveau de ma bouche. Il me raconte qu'il a remarqué le petit jeu d'Éros quand il est rentré la première fois au camp après mon arrivée. J'apprends qu'il a mis en garde le prince, il a proféré des menaces idiotes de grand frère qui veut protéger sa sœur. Je me prends au jeu et raconte quelques moments que j'ai passés avec Éros également. Puis il me parle du choc qu'il a ressenti en apprenant que son meilleur ami était mon âme sœur et de la détresse qu'à causer mon départ pour le prince. Quand il me parle du bureau mit sens dessus dessous, des recherches non-stop et des dizaines d'oracles vus, je ne peux m'empêcher de me sentir coupable. Si j'avais accepté mon sort, Heikas serait venu m'entraîner au palais et je n'aurais jamais eu besoin de l'artefact, donc il ne serait pas mort.

La douleur m'étreint doucement jusqu'à ce que je sente ma cage thoracique se refermer sur moi et que le fait de respirer devienne compliqué. Est-ce que je commence enfin à ressentir quelque chose ? Ce n'est pas le moment. Je ne peux pas, je ne veux pas, je ne suis pas prête. Je me plie en deux. Fëanáro pousse un cri et me frappe l'épaule avec son museau. Léandre se baisse et me demande ce qui se passe, mais je n'en sais rien, je suis incapable de parler. Je ne peux que me mettre à genoux en me tenant les côtes. La douleur s'intensifie et commence à m'étreindre entièrement. Des larmes baignent enfin mon visage. Cette douleur me paraît si vive par rapport à l'imprégnation de l'artefact que c'en est dérisoire. J'étais persuadée de ne jamais rien vivre de pire, mais c'est pourtant le cas. Cette douleur est pire, bien pire. J'ai l'impression qu'on m'écartèle. Je hurle. Léandre crie également. Ayden et Eryk sont là. Je ne me souviens pas les avoir vus venir. Cali me frotte le dos, je le sens à peine. Alex empêche les invités de sortir. Il tient la porte fermée.

Je comprends brutalement ce qui m'arrive. Ça y est. On m'arrache la moitié de mon âme. Pourquoi maintenant ? Des images d'Éros se bousculent devant mes yeux. Je ne vois rien d'autre à part lui. J'ai l'impression de l'entendre hurler en cœur avec moi. C'est comme s'il ressentait cette douleur aussi. Mais je sais que c'est impossible. Qu'est-ce qui m'arrive ? Je suis en position fœtale à présent et je baigne dans mes propres larmes. La douleur ne veut pas se tarir, elle est palpable, physique et psychologique. C'est la première fois que j'en arrive à me demander si la mort ne serait pas un destin plus louable. Mes poumons sont toujours plus que comprimés, je souhaite que ça cesse. Et c'est finalement le cas. Je perds connaissance et accepte avec plaisir ce répit.


Le Joyau de Nostraria, Tome 2 : Le secret de l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant