Chapitre 38

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Pour la nuit, nous avons réparti les tours de garde. Nous sommes assez nombreux pour tourner par paire ce qui nous laissera à chacun un nombre d'heures de sommeil non négligeable. Je prends le premier tour avec Eryk, je pense qu'Ayden ou Éros auraient souhaité prendre leur tour en même temps que moi, mais ce n'est pas préférable. Ça fait déjà une heure que les autres se sont couchés et depuis j'en profite pour raconter à Eryk ma vie en Edryae. Je lui parle de ma première rencontre avec Alex et le couteau. On rit si fort à l'évocation qu'un tel connard se soit fait rembarrer que je crains de réveiller le groupe. Je lui parle de Cali qui est incroyable. Je lui dis qu'elle m'a appris à gérer un peu mieux mes aptitudes. En parlant de Cali à Eryk, je me rends compte qu'il ferait un super duo. Je garde cette pensée pour moi. Quand je ne raconte pas mes histoires, Eryk me parle des siennes. Après mon départ, il n'a pas suivi Éros et Léandre dans leur quête, premièrement parce qu'Éros ne pouvait plus voir Eryk, même en peinture. Apparemment, mon ami aurait été un peu trop franc avec le prince sur ma situation. Ils ne s'entendent pas, mais Éros a quand même offert une promotion à Eryk. Il est chargé de l'apprentissage des nouvelles recrues de la garde rapprochée de la famille royale, ce qui est impressionnant. Je ne manque pas de le féliciter. Après les félicitations de rigueur, mon ami perd son sourire.

— Tu sais Hestia, ce que tu me racontes sur l'Edryae n'est pas du tout en corrélation avec ce qui se raconte de notre côté de la frontière.

Je ne vois pas où il veut en venir, je suis déjà au courant. J'attends le « mais » qui ne se fait pas attendre.

— ... Mais si ce que tu dis est vrai... Tu me connais, je hoche la tête sans voir où il veut en venir. Hestia, je suis ton ami et je suis prêt à te suivre jusqu'au bout du monde. Alors si comme tu me l'expliques, le but du roi Ignace est de détrôner le roi Horos pour mettre Éros à sa place, notre but est commun. Je dois te dire quelque chose. Je suis prêt à te suivre jusqu'à la fin, de venir en Edryae.

Je place mes deux mains sur sa bouche et chuchote :

— Tu ne peux pas dire ça. Sûrement pas à côté du prince et de sa garde rapprochée.

Il prend doucement mes poignées pour que je retire mes mains.

— Je sais, mais on ne parle pas assez fort pour qu'ils nous entendent même s'ils étaient réveillés.

— Eryk, je suis touchée que tu me fasse une confiance aveugle, mais tu ne peux pas trahir ton pays sur base que je l'ai fait...

Parce que c'est une réalité, j'ai trahi la Nostraria. Il ferme les yeux et respire plus profondément. Je ne l'ai encore jamais vu aussi sérieux que ce soir, même quand il m'expliquait mon plan d'évasion et la rébellion du peuple.

— Bon je dois t'avouer quelque chose... J'ai peur que tu m'en veuilles. Il laisse s'écouler de nombreuses secondes. Je t'ai menti.

Je le regarde sans comprendre. Je fronce les sourcils en attendant qu'il s'explique.

— Hestia, je ne suis pas Nostrarien... Je suis Edryen depuis le début.

J'ai un mouvement de recul, il poursuit :

— Et je connais Ayden... Oh, il va me tuer !

Il prend son visage dans ses mains, je ne sais pas encore comment réagir. Il est Edryen, c'est déjà une information choquante et à présent il me dit connaître Ayden.

— Mais quand vous vous êtes vu, vous n'avez rien laissé paraître, tu lui as fait un signe de la tête pour le saluer et c'est tout, tu n'as même pas parlé.

— Je ne peux pas me montrer familier avec lui, je risquerais de griller ma couverture.

— Ta couverture ?

— Je suis Edryen... Ce qui signifie que je suis un espion, Hestia. Le roi Horos a tué mes parents, je suis un orphelin depuis que j'ai 4 ans. Et je connais Ayden parce que nous sommes amis depuis l'orphelinat.

Il m'a berné depuis si longtemps. Je ne l'aurais jamais imaginé. C'est lui qui m'a dit que le roi d'Edryae était un monstre. Il m'a dit qu'Ignace avait debuté cette guerre alors qu'il n'en crois rien.

— Depuis l'orphelinat, tu dis?

— Oui. On a été élevé ensemble...

— Tu es le quatrième enfant adoptif d'Ignace ?!

Quand Ayden m'en avait parlé, j'étais persuadé que le garçon dont il me parlait était mort, mais c'est pire, il est vivant et ils ne peuvent même pas se parler. Il écarquille les yeux.

— Oui, dit-il dans un couinement.

— Ayden m'a parlé de toi. Mais tu m'as laissé parler de l'Edryae pendant une heure, tu m'as laissé te parler d'Alex et de Cali...

— Je suis désolé Hestia, je ne savais pas si tu garderais mon secret, mais j'ai bien compris comme tu apprécies Edryae et ses habitants. Si tu ne te sentais pas à l'aise là-bas je n'aurais rien pu te dire. Je n'aurais déjà pas dû le faire. Et t'entendre parler d'eux m'a fait tellement de bien, tu n'imagines pas à quel point ils me manquent.

Je l'imagine au contraire très bien, j'imagine qu'ils leur manquent autant que je ressens l'absence douloureuse de Lua ou de mes parents. Il continue :

— Je t'en parle aussi parce que je ne veux plus rester en Nostraria, je veux rentrer chez moi, je veux pouvoir parler à mes frères et pas uniquement par télépathie, je veux voir comme Cali est devenue forte en combat.

Un larme solitaire vient se bloquer dans le coin de mon œil droit. Cet aveu de faiblesse de la part d'un homme qui ne m'a encore jamais montré de faille dans sa carapace, me laisse quelque peu déboussolée. Il a toujours été enjoué et charmeur.

— Eryk, j'ai conscience de la difficulté de ta tâche, mais ce serait idiot de rentrer maintenant alors que tu as gravi les échelons. Tu es si proche de la royauté nostrarienne. Tous ces efforts seraient vains si tu rentrais maintenant. Je sais que ce que je dis peut paraître dur et politique, mais...

Il me coupe :

— Non, tu as totalement raison. C'est la dernière ligne droite, enfin je l'espère. Dès qu'Éros sera sur le trône, je pourrais rentrer.

Je lui souris doucement et je lui dis sur le ton du sarcasme :

— Il faut juste commettre un régicide... Si peu.

Il me sourit en retour et dit à son tour :

— Si peu.

Je lui attrape la main et la serre fort, nous restons dans le silence jusqu'à ce que la relève de notre tour de garde arrive. Je ne peux m'empêcher de repenser aux moments où Eryk et Ayden se sont vu, j'essaie de déceler un regard complice ou quelque chose que j'aurais raté, mais je ne me souviens de rien.


Le Joyau de Nostraria, Tome 2 : Le secret de l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant