J'avançai le plus rapidement possible, boosté par l'urgence et l'adrénaline, pourtant j'avais l'horrible sensation de me trainer lamentablement. Ma vue se brouillait tandis que je louvoyais entre les troncs, ayant de plus en plus de mal à les éviter. Je sentis la métamorphose s'amorcer d'elle-même, signe que c'était dorénavant ma partie animale qui était aux commandes. En temps normal cela m'aurait alarmé, mais dans l'état actuel des choses je subis la transformation sans me poser de question.
Après la douleur, la sensation de légèreté et de liberté fut presque violente. Je battis des ailes sans effort, slalomant aisément entre les branches. Ma petite taille, qui m'avait valu des moqueries de la part des mes camarades métamorphes étant jeune, devenait un atout dans cet environnement. J'étais plus léger, plus agile, mais surtout plus rapide. Qualité que je mis à profit pour rejoindre la route en à peine quelques minutes.
C'était un axe secondaire traversant les bois, et à cet instant, totalement désert. Je m'élevai pour avoir une vue plus dégagé mais aucune lueur à l'horizon. Le véhicule que j'avais entendu plus tôt devait être le seul à être passé de la nuit, raison pour laquelle je n'avais pas eu conscience de la proximité de cette route plus tôt. Devais-je attendre l'hypothétique venue d'une prochaine voiture ou continuer à voler dans l'espoir de tomber sur une maison ou un autre axe plus fréquenté ?
J'étais en train d'opter pour la seconde solution, lorsque mon corps décida pour moi. Déséquilibré par une rafale vicieuse, je fus projeté vers une ligne à haute tension. Virant sur l'aile, j'esquivai les câbles à la dernière seconde, mais l'épuisement me rattrapa soudain et une nouvelle bourrasque m'envoya percuter l'un des pylônes. Le choc me ramena aux commandes, où mon corps épuisé amorça aussitôt sa métamorphose inverse qui n'eut rien de douce. Mes os se réalignaient et se réarrangeaient tandis que je chutais, mon esprit noyé de souffrance ne parvenant plus à réfléchir. C'est sur le dos que je percutai le sol, le choc chassant momentanément tout l'air de mes poumons. Je ne pus que rester là, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau, ne réagissant même pas lorsque des pas résonnèrent tout proche.
— Hé oh ! Vous m'entendez ? Je vous ai vu tomber de la route, vous avez besoin d'aide ?
L'homme avait une voix grave et assurée très en accord avec son pas déterminé et si je me fiais à ce qu'il venait de dire, il avait aussi une voiture. J'essayai de me redresser et de l'appeler mais aucun de mes muscles ne m'obéit. C'est lorsque ses bottes apparurent dans mon champ de vision que l'implication exacte de ses mots me parvint. S'il m'avait vu tomber, il avait dû assister à ma métamorphose ?! À moins que l'obscurité ne lui ai pas permis de distinguer les détails ? Mais dans ce cas, pourquoi me demander si j'avais besoin d'aide ? Cela paraissait évident ! Normalement il aurait déjà dû appeler les secours...
L'homme se pencha vers moi alors que j'essayai toujours de me redresser et le plus naturellement du monde, me tendit la main. Voyant que je ne pouvais pas la saisir, il attrapa mon poignet et après m'avoir tiré vers lui d'une seule main, passa la seconde dans mon dos pour me stabiliser.
— Vous avez besoin que j'appelle une ambulance où ça va aller ?
— Je préviens les secours ou pas ? réitéra-t-il quelques secondes plus tard, voyant que je ne répondais pas.
Pas encore certain que ma voix m'obéisse, je me contentai d'un signe de tête pour toute réponse. Il hocha la sienne en retour et d'une poigne puissante m'aida à me remettre sur mes pieds.
— ça va aller, maintenant ou vous avez besoin que je vous dépose quelque part ?
Encore une fois et malgré l'urgence de la situation, je ne répondis pas. Le comportement de cet homme était étrange et déroutant. Il était humain, ça j'en était certain. Pourtant il se comportait comme l'aurait fait un métamorphe envers un autre, ce qui aurait dû m'inspirer confiance mais avait en fait l'effet inverse. Depuis la grande révélation et l'attaque brutale des humains quelques mois plus tard, certains chasseurs de primes c'étaient spécialisés dans la traque des non-humains et particulièrement des métamorphes. Et pour ce faire, utilisaient tous les stratagèmes à leur disposition même les plus retors, comme l'infiltration et la fausse connivence pour parvenir à débusquer des groupes entiers.
Ce qui me faisait pencher pour cette hypothèse ? Son physique athlétique et le fait qu'il se balade seul la nuit en pleine campagne. Mais surtout le fait qu'il ait pu me distinguer d'aussi loin malgré l'obscurité. Il n'avait pu le faire qu'avec des jumelles à vision nocturne et je ne connaissais pas beaucoup de bons samaritains se trimballant avec ce genre d'équipement dans leur boite à gant ! Il ne me restait donc que deux options : me servir de lui pour aller secourir Liv au risque qu'il nous trahisse tous les deux. Ou tenter de le neutraliser pour lui voler sa voiture.
En temps normal je n'aurais pas hésité une seconde et l'homme serait déjà au sol sans comprendre comment il y était arrivé. Mais j'étais épuisé, blessé et n'avais pas vraiment le loisir de prendre le risque de me planter.
— J'ai besoin de votre aide, croassai-je finalement à contre cœur. Mon amie est blessée, là-bas dans la forêt. J'étais parti chercher de l'aide quand...
— C'est loin d'ici ? me demanda-t-il simplement après m'avoir fixé durant quelques secondes.
— Non mais on va avoir besoin de votre voiture.
Il acquiesça encore une fois sans un mot superflus puis tourna les talons en direction de la route. Je le suivi quelques pas en arrière avec la sensation diffuse et persistante que quelque chose n'allait pas. Nous arrivâmes rapidement en vue de son véhicule garée sur le bas-côté. C'était une camionnette à plateau blanche, cabossée et couverte de boue qui m'asphyxia presque lorsque j'en ouvris la portière passager.
— Désolé pour le désordre, c'est mon véhicule de travail. Je revenais juste d'une urgence m'expliqua-t-il en transvasant rapidement le sac et les jumelles du siège avant sur la banquette arrière.
— Quel genre d'urgence ? demandai-je en montant dans la cabine.
— Une naissance compliquée, je suis vétérinaire, cru-t-il bon d'ajouter en démarrant rapidement.
— Il faut faire demi-tour, lui indiquai-je constatant qu'il ne savait pas où aller. Et les jumelle à visions nocturne, elles vous servent à quoi ?
L'homme s'esclaffa doucement tandis qu'il manœuvrait et rejoignait le bon côté de la route.
— Rien ne vous échappe à vous ?! C'est pour les chauve-souris. Je sors souvent la nuit pour les observer. J'ai fait ma thèse de fin d'étude sur les chiroptères et depuis, c'est devenu comme une obsession, elles me fascinent ! J'adore ces petites bêtes ! D'ailleurs, vous avez de la veine qu'un groupe particulièrement important soit passé quelques minutes avant vous. Je m'étais arrêté pour les observer, sinon jamais je ne vous aurais vu.
Son histoire tenait la route, il fallait bien l'avouer. Jusqu'à l'odeur de vache et de sang qui saturait tout l'habitacle au point de me donner la nausée. Pourtant mon mal être persistait. Je ne parvenais plus à réfléchir correctement à tel point que je faillis manquer l'arbre tordu qui me servait de repère.
— C'est ici ! criai-je presque, forçant le pauvre homme à piller.
— Vous devriez peut-être rester là, vous n'avez pas l'air bien, me proposa-t-il après s'être stationné sur le bas-côté.
— Non... vous aurez besoin de moi pour... la trouver.
Ma voix resonnait bizarrement à mes oreilles tandis que je quittai mon siège. Mes jambes tremblaient, le sol tanguait et ma tête n'était devenue qu'un énorme bourdonnement. Pourtant je pris la tête de notre marche et guidai l'homme à travers bois comme dans un état second. Lorsque nous arrivâmes en vue du ruisseau, il m'écarta sans effort et se précipita au chevet de Liv dès qu'il l'aperçu.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? C'est vous qui l'avez blessé ?! m'accusa-t-il soudain en cherchant quelque chose dans sa mallette posée au sol.
— Quoi ?! Non, bien sûr que non, répondis-je. Je... j'ai essayé de l'aider... je...
Les mots se mélangeaient dans ma tête et ma voix résonnait de plus en plus étrangement à mes oreilles. Je ne sentais même plus le sol sous mes pieds, tout me paraissait lointain et proche à la fois. Dans un ultime éclair de lucidité, je compris que j'étais en train de perdre connaissance. J'essayai de me retenir alors que je partais en arrière, tombant mollement au milieu des feuilles. J'entendis l'homme crier, me demander quelque chose, mais j'eux beau faire tous les efforts du monde, ma conscience décida qu'il était plus que temps de quitter le bal et tout devint noir.
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Insurrection- Elémental Tome 2
ParanormalCe que tous redoutaient à eu lieu. La guerre entre humains et métamorphes est déclarée. L'instigateur de la grande attaque est mort mais ce sont les métamorphes qui en paye le prix fort. Traqués, arrêtés condamnés et parfois même exécutés, ils se ca...