Insurrection- Elémental Tome 2

Chapitre 32-2

L'urgence et la rage prenant le pas sur la raison, je m'élançai, laissant un nouvel instinct me guider. Mes nouvelles griffes cliquetaient et dérapaient un peu sur le parquet ciré et mes nouveaux muscles roulaient étrangement sous ma peau. La sorcière, bouche ouverte sur un cri silencieux, avait commencé à reculer tout en ne me quittant pas des yeux. Elle fit volte-face dès que je commençai à avancer, avant de se retourner et de commencer à courir. Sa fuite aiguisa mon instinct et mes pattes accélèrent la cadence sans que je n'aie besoin de le leur demander. Je fus sur elle en deux foulées, ne ralentissant même pas au moment de l'impact. Mes griffes lui labourèrent le dos alors qu'elle s'étalait de tout son long dans un hurlement ridicule.

— Ne le laissez pas me mordre ! hurla-t-elle à l'intention de ses sous-fifres qui nous fixaient d'un regard effrayé.

Un grondement sourd et menaçant s'éleva soudain et il me fallut quelques secondes pour comprendre qu'il sortait de ma gorge. Les glapissements de la sorcières s'amplifièrent alors que je savourai sa terreur, irradiant d'elle par vagues, la goutant presque sur ma langue.

— Arrêtez-le ! brailla-t-elle en gigotant, tentant vainement de se libérer, voyant que ses fidèles ne bougeaient pas.

Mon absence de corde vocal me mettant au supplice, mon grondement s'amplifia tandis que je rapprochais ma gueule de son cou. C'était de sa faute si nous en étions là. Je souhaitai sa mort plus que tout et pourtant, au moment de porter le coup de grâce, j'hésitai. Je l'avais déjà fait une fois, même si ce n'était qu'une illusion, je pouvais le refaire. Mais lancer un couteau et planter ses crocs dans de la chair chaude et vivante étaient deux choses bien différentes. Hormis des animaux pour me nourrir, je n'avais jamais tué sous ma forme animale. Blessé, défiguré, oui, mais tué, jamais.

La sorcière dû le capter aussi, à moins que cela ne soit dû à mon hésitation, mais je sentis sa peur refluer tandis qu'elle s'agitait de plus belle. La saveur piquante et astringente de la magie, me chatouilla les moustaches, me sortant de ma dangereuse indécision. Alors qu'elle commençait à ramper pour s'extraire de mon emprise, je lui plantai mes crocs dans l'épaule sans plus réfléchir. Elle hurla comme un cochon qu'on égorge, mais l'adrénaline de la chasse avait reflué. Trop conscient que je ne pourrais pas l'achever sous cette forme, je me dégageai et après un demi-tour maladroit, parti dans l'autre direction.

Cette forme n'était pas la mienne, elle m'encombrait, me rendait pataud et malhabile. J'avais l'impression de me trainer, d'étouffer... de ne pas être moi-même. Je voulais battre des ailes, décoller, retrouver l'ivresse du vol et la liberté des grands espaces. Je voulais...

L'éclat de ciel que j'aperçu à travers la porte grande ouverte du vestibule me donna le déclic qui me manquait et je sentis les forces en moi basculer. Je repoussai le loup tandis que mon aigle reprenait le devant de la scène. La transformation s'amorçait lorsqu'une douleur paralysante explosa dans ma cuisse gauche. Perdant instantanément ma concentration et l'usage de ma patte arrière, je partis dans un dérapage incontrôlé et terminai ma course dans le mur. La douleur, pulsatile et diffuse, irradiait depuis la lame d'un poignard enfoncée dans ma chair jusqu'à la garde.

Percevant les vibrations d'une course dans le sol, je me hissai sur mes trois pattes valides et clopinait jusqu'à la sortie. Planté dans le gras de la cuisse, la plaie saignait à peine mais je sentais mes forces s'amenuiser à chaque nouveau mouvement. Comme si ma vitalité elle-même suintait de ma blessure. Ce n'était pas normal. Terrassé par l'épuisement et la douleur, je louvoyai encore quelques mètres avant de m'écraser sur un buisson d'Hortensia. Le souffle court, je voyais mon champs de vision rétrécir progressivement, sans comprendre ce qu'il se passait. Une voix, sur ma droite, focalisa mon attention, m'empêchant de sombrer dans l'inconscience et je m'y accrochai, comme un naufragé à sa bouée.