Chapitre 27-2

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Nous commençâmes à faire le tour du bâtiment principal pour nous apercevoir très vite, qu'ils n'avaient rien laissé au hasard et que chaque fenêtre du rez-de-chaussée dégageait la même vibration magique que la porte d'entrée. Je levai les yeux vers l'étage pour y rechercher une ouverture praticable éventuelle qu'ils auraient pu oublier de protéger, lorsqu'un jet d'adrénaline et de peur, me traversa soudain, faisant accélérer mon cœur.

— Worth et Jude ont des problèmes ! avertis-je aussitôt les autres, avant de m'élancer en direction de la grange.

Thomas m'emboita le pas aussitôt, se faufilant dans mon ombre, mais Felton hésita. Ma réaction avait été tellement rapide que nous étions déjà à l'angle de la grange avant même qu'il n'ait réagi. J'allais lui faire signe de rester où il était lorsqu'une aura huileuse et nauséabonde déferla sur moi, polluant tous mes sens et me renvoyant instantanément plus d'un an en arrière. Mon arme à la main, je tournai l'angle, à peu près certaine de ce que j'allais y trouver.

La porte à deux battants avait été défoncées de l'intérieur et celui de droite béait de guingois contre le mur de béton. Devant, faisant face à Jude et Worth, Une forme gigantesque et contre nature, grognait en bavant, ses défenses mortelles pointées sur l'inspecteur. L'inspiration surprise et apeurée que prit Felton en déboulant bien après nous, attira l'attention de la bête sur lui et elle pivota sa tête hideuse dans notre direction.

— Attention, elle est beaucoup plus rapide qu'elle n'en a l'air !

— Et les balles ne lui font rien ! nous prévinrent Jude et Gabriel, tandis que ce dernier repassait son arme à sa ceinture.

Jude acquiesça d'un signe de tête concentré tout en faisant signe à Worth de s'écarter, pendant qu'il se décalait lentement sur la gauche, essayant de la prendre à revers. La bête, mi-rhinocéros, mi-phacochère, racla le sol de son sabot, avant de pencher la tête en avant et de charger, toutes défenses dehors. J'évitai sans difficulté sa charge d'une roulade mais ce n'était pas moi qu'elle visait, c'était Felton et il fut trop lent. Thomas se précipita sur le jeune homme pour l'écarter de la trajectoire et tout deux roulèrent sur le côté dans une roulade brutale et non maitrisée.

La bestiole ne me laissa pas le temps de vérifier s'ils allaient bien et en un quart de seconde elle avait déjà pivoté dans ma direction. Worth, qui s'était reculé loin de l'action et ne semblait plus l'intéresser, me fit signe en tapotant sa tempe de son index. Baisser mes défenses pour communiquer avec lui et nous coordonner était une bonne idée, mais ce qu'il s'était passé peu de temps auparavant me fit hésiter.

Une hésitation de trop, car la bête chargea dans ma direction, me forçant à esquiver une fois de plus sans pouvoir riposter. A l'attaque suivante, j'étais prête et lorsqu'elle fonça dans ma direction, je m'écartai et attrapant l'une de ses défenses tordues au passage, sautait sur son dos. Je m'accrochai désespérément essayant de tenir, le temps de pouvoir lui planter mon poignard dans le cou mais tout ce que je rencontrai fut une carapace infranchissable.

— Elle est carénée comme un tank ! rugis-je alors que je lâchai prise et atterrissais lourdement sur le gravier.

— Il faut viser les yeux ! me répondit Jude, toujours concentré pour trouver un angle d'attaque.

Plus facile à dire qu'à faire ! jurai-je intérieurement en me relevant dans une grimace. Ces petits yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, reposaient entre les plis de sa cuirasse, ne nous laissant pratiquement aucun angle d'attaque.

— Hannah ! me cria soudain Gabriel d'un ton pressant et à la limite de l'exaspération. Baisse tes défenses !

Alors que la bête essayait toujours de nous atteindre en nous fonçant dessus sans aucune finesse, je me décidai à baisser légèrement mon bouclier. Elle était peut-être pataude et limitée dans son style de combat mais à force de nous épuiser, elle finirait bien par nous avoir à l'usure. L'afflux de pouvoir fut presque immédiat et me grisa instantanément d'une manière qui me déplu au plus haut point. Je sentis Worth puiser dans la magie de la terre, celle qu'il utilisait le moins souvent et celle que je maitrisais encore moins. Comprenant ce qu'il cherchait à faire, je réduis au strict minimum notre échange, pour savoir quand il allait frapper sans être submerger par les répercussions. La dernière fois que cela été arrivée, j'avais ouvert une faille de plus d'un mètre dans le champs où nous nous trouvions ! Et manqué tomber dedans par la même occasion !

Cette fois-ci, lorsque la terre s'ouvrit dans un craquement sec sous les pattes du monstre, j'étais prête et sautai sur son dos, pendant que Jude se précipitait vers sa tête. Elle rua et grogna essayant d'éviscérer Jude à chaque fois qu'il s'approchait d'un peu trop près. Ce dernier rugit, lorsqu'une des défenses atteint son but et lui ouvrit l'avant-bras comme un fruit trop mûre.

« Je ne vais plus tenir longtemps ! » haleta Gabriel dans ma tête, alors que cramponnée, j'essayai d'atteindre son œil, mais sans succès. Mon bras tétanisé et mon épaule sur le point de lâcher me disait que moi non plus je n'allais plus tenir longtemps. Ce truc était indestructible, ma parole ! J'étais la dernière en état de combattre et si je lâchai je n'aurais pas de seconde chance. La crevasse se referma brusquement dans un craquement sonore, emprisonnant l'une des pattes de l'animal dans son carcan minéral. Ce dernier bascula sur le côté m'entrainant dans sa chute dans un barètement* assourdissant. Je me senti décoller et glisser par-dessus le cou massif et cuirassé de l'animal. Ne trouvant rien à quoi me raccrocher, je me retrouvai au sol, nez- à nez avec son museau hérissé de défenses mortelles.

A l'instant où je voyais l'une d'entre elles sur le point de me transpercer sans pouvoir rien faire, une détonation retentit et la tête de l'animal partit soudain en arrière avant de retomber inerte, son œil explosé et sa langue pendant mollement hors de sa gueule. Je pédalai pour reculer loin de l'abomination difforme et de sa puanteur. Je me relevai, le souffle court et le cœur battant à cent à l'heure. Worth dont les cernes gagnaient presque ses joues à présent, se tenait les jambes écartés et l'arme à la main, me fixant d'un regard inquiet. J'allais me précipiter vers lui quand la voix de Felton m'arrêta net.

— Venez nous aider, je n'arrive pas à le réveiller !

Non, c'est hors de question... pas Thomas ! fut la première pensée cohérente à se frayer un chemin dans mon cerveau épuisé alors que je changeai de direction et les rejoignais. Couvert de sang de la hanche jusqu'à l'épaule, il reposait sur le flanc droit, un bras relevé et replié sur son visage.

— Va chercher Cooper ! Maintenant ! intimai-je au jeune homme prostré, devant répéter mon ordre deux fois avant qu'il ne s'exécute. 

Tremblante, je m'accroupis et tendis une main vers la gorge du métamorphe, priant pour sentir son pouls sous mes doigts.

— Il est vivant ? me demanda aussitôt Cooper en arrivant au pas de courses.

— Je ne sens rien, dis-je au bord de la panique.

— Laisse-moi voir, me demanda-t-il doucement en prenant ma place. J'ai entendu le combat mais je ne pouvais pas laisser Leah et Johnson sans défenses, s'expliqua-t-il d'un ton désolé. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Il... il m'a sauvé, bredouilla Felton. J'ai été trop lent pour m'écarter à temps et il... Il va s'en sortir ?

Cooper ne répondit rien. Penché au-dessus du corps de Thomas, il dressa une main en l'air pour nous intimer le silence, la seconde occupé à ausculter rapidement son patient.

— C'est arrivé il y a combien de temps ?

— Même pas dix minutes, pourquoi ?

Un soupir s'échappa de ses lèvres tandis qu'il se laissait aller sur ses talons.

— Il y a un pouls. Il est très faible, mais s'il y en a un au bout de dix minutes, ça veut dire qu'il s'accroche. Par contre, il va me falloir un endroit sûr où l'opérer sinon il ne survivra pas.

— Des nouvelles de Nicolas et Rose ? demanda Jude, tenant son bras ensanglanté contre son buste afin de le bouger le moins possible.

Cooper secoua la tête, l'inquiétude se lisant facilement sur ses traits tirés. Ces derniers, partis de leur côté pour rejoindre leurs loups et nous ramener des renforts, devaient nous retrouver ici, mais si nous étions obligé de bouger... Déterminée, je me redressai et la tête levée vers le ciel me dirigeait vers la seule fenêtre visible se découpant dans le toit pentu de la ferme. J'aurais pu me transformer et voleter jusqu'à elle en quelques secondes, mais la fatigue me retint. Au lieu de ça, je m'approchai de la gouttière et cherchant des prises stables, commençai à grimper le long du tuyau de zinc.

— Hannah, qu'est-ce que tu fais ? m'interrogea Gabriel en essayant de ne pas trop faire porter sa voix.

— J'essaie d'entrer. Les portes et les fenêtres du bas sont protégées par un sort, expliquai-je me rappelant qu'ils ne pouvaient pas être au courant. Priez pour qu'il ne fonctionne pas dans les deux sens, ajoutai-je d'une voix grave en atteignant la gouttière.

*Cri du rhinocéros.

Insurrection- Elémental Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant