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Mia

C'est le bruit strident de mon réveil qui me tire de mes songes. Je m'empresse d'éteindre ce dernier avant de prendre le temps de frotter mes yeux encore ensommeillés et de m'étirer. L'esprit embrumé par mes rêves on ne peut plus récurrents, ce n'est qu'après avoir fini de m'habiller que je prends soudainement conscience de ce qui me perturbe tant. Pour la première fois une voix s'est faite entendre dans mes rêves. Si ces derniers me perturbait au début par leur impression de netteté, d'être dans la réalité, savoir que pour la première fois on m'a parlé, que quelque chose sait que je suis là et s'adresse à moi créé des vagues d'angoisses qui me broient le ventre. Je sais qu'en théorie ce ne sont que des rêves, rien que des rêves, alors pourquoi est-ce que je me retrouve si désemparée ? Je secoue ma tête désireuse de chasser ses pensées sans réelles cohérences tout en me dirigeant vers la cuisine pour avaler un bol de céréales et me distraire sur mon téléphone. Je file ensuite dans la salle de bain histoire de me maquiller rapidement et me donner un semblant de confiance en moi, ce n'est qu'une fois cela terminé que je me résigne à quitter mon petit studio pour aller rejoindre la fac où j'étudie en quatrième année de médecine.

J'essaie de penser à mes cours, aux partiels qui arrivent, à mon avenir mais rien à faire la phrase de mes rêves qui sonne comme un terrible avertissement revient me hanter encore et encore. Je ne suis pas particulièrement croyante, ni même superstitieuse et je crois que c'est justement cette dissonance entre la peur que je ressens et mon esprit cartésien qui me perturbe autant. Ayant l'avantage d'habiter à un petit quart d'heure de la fac à pied je laisse mes pensées divaguer tout en lançant la musique à fond dans mon casque antibruit. En admettant que l'avertissement soit vrai, qu'il se passe quelque chose, que quelque chose arrive, qu'est-ce que je suis censée y faire ? Chaque nuit je livre déjà un combat acharné contre des monstruosités, combats que je remporte toujours aisément. À moins que la subtilité soit là, que ça ne soit trop aisé ?

C'est les cris des ouvriers dont l'un est perché sur un échafaudage qui me sortent de mes divagations. Mon regard s'attarde un peu trop longuement sur la façade de l'église qui est en train d'être ravalée quand une soudaine idée naît dans mon esprit. Et si je rentrait dedans ? Je vérifie l'heure sur mon portable et j'hésite une poignée de secondes en comprenant que si je rentre dans l'édifice je serai en retard. Malgré tout la curiosité de pousser cette idée farfelue jusqu'au bout est la plus forte. Je passe alors sous l'échafaudage avant de me faufiler par la porte qui est maintenue ouverte grâce à une cale. L'intérieur du bâtiment contraste violemment avec l'extérieur, adieu le soleil éclatant de mai et les bruits de la rue.

Étant plus jeune j'ai fait un peu de catéchisme, j'ai été baptisé bébé par mes parents et j'ai fait ma profession de foi en m'intéressant plus aux cadeaux qu'à Dieu. Pourtant c'est presque machinalement que je glisse ma main dans le bénitier pour tremper mes doigts dans l'eau bénite et effectuer un signe de croix. Et maintenant ? Je fais quelques pas tout en réfléchissant à la suite de ma démarche que je trouve soudainement absurde. Qu'est-ce que j'espérais en rentrant ici ? C'est n'importe quoi. Je secoue la tête comme pour chasser les regrets qui commencent à naître en moi. Désireuse de ne pas être rentrée pour rien je me dirige vers le petit autel sur ma gauche où se trouve de nombreuses bougies se consommant doucement sous la surveillance d'une statue de la Vierge. Je fouille dans la poche de mon jean pour trouver la monnaie demandée avant d'allumer à mon tour une petite bougie. Je récite mentalement une courte prière avant d'adresser une pensée pour les proches qui m'ont quittés.

Des bruits de pas derrière moi me sorte de la mélancolie dans laquelle ma prière m'a plongé avant de me retourner. Un homme se tient au milieu de l'allée centrale et semble perdu dans sa contemplation de l'autel. Son lourd et long manteau en cuir contraste avec le lieu et la saison mais me rappelant de mon retard, je me hâte de regagner la sortie. Alors que je passe à proximité de l'homme il m'interpelle d'une voix grave et profonde :

— Ainsi c'est toi...

Je me suis arrêtée malgré moi tout en arquant un sourcil tandis qu'il en profite pour me détailler sans aucune gêne. Je m'attends à ce qu'il poursuive sa phrase laissée en suspens mais il n'en fait rien. Après tout, peut-être que j'ai mal entendu ou que ce n'est qu'une énième manière de me draguer lourdement même si l'endroit est peu conventionnel. Ce n'est que lorsque mes jambes se remettent en mouvement et que je tourne le dos à l'homme qu'il reprends d'une voix un peu plus chaude :

- Tu n'as pas la moindre chance de gagner Mia.

Je sursaute en entendant mon prénom et ne peux m'empêcher de m'exclamer :

— Pardon ?!

— Tu vas perdre. C'est pourtant simple à comprendre.

Il a détaché les mots de sa première phrase un à un comme s'il me prenait pour une idiote ce qui m'irrite particulièrement. Ok, je ne suis peut-être pas Einstein mais je ne suis pas non plus totalement débile si bien que je lâche avec raillerie :

— J'ai aucune idée de qui vous êtes, de ce que vous voulez mais je suis certaine d'une chose, quand je joue c'est pour gagner.

L'homme esquisse un sourire face à ma tirade avant de se détourner de moi pour quitter l'édifice. Ce n'est que lorsqu'il franchit le seuil qu'il lâche comme dans un murmure :

— J'ai hâte que l'on joue ensemble dans ce cas Mia.

Je n'ai pas le temps de répondre quoique ce soit qu'il est déjà parti et je me retrouve plantée là sans savoir quoi penser de tout ça. C'était particulier pour ne pas dire étrange et au final lorsque je quitte l'église j'en ressors avec plus de questions que de réponses.

La journée de cours a trainé en longueur et mes pensées ont régulièrement dérivées vers mes rêves et l'inconnu de ce matin ce qui a mis à mal ma concentration et ma prise de notes. Au final quand je fini enfin par pouvoir rentrer chez moi je me rends compte que la journée m'a frustrée plus qu'autre chose. Désireuse de me changer les idées en ce jeudi soir je décide d'aller prendre un verre. J'hésite quelques secondes en avisant mon portable qui traîne à côté de moi à contacter une amie pour m'accompagner avant de finalement abandonner cette idée, j'ai besoin de me retrouver seule, et peut-être même de trouver quelqu'un avec qui m'amuser ce soir. C'est sur cette perspective on ne peut plus divertissante que je quitte mon appartement, le sourire aux lèvres.

Le bar sur lequel j'ai jeté mon dévolu n'est qu'à quelques rues de chez moi et je connais brièvement le staff étant donné que je passe de temps en temps. Je m'installe sur l'une des tables libres en terrasse et ce n'est qu'après avoir prit une petite gorgée d'un des cocktails de la maison que je parviens enfin à me détendre un peu. L'alcool jouant son rôle à merveille je me glisse un peu plus contre le dossier de ma chaise tout en profitant de la petite brise printanière qui souffle et semble annoncer l'été. Mon regard parcours la terrasse et la rue qui est dans son prolongement plus par curiosité que par réel intérêt jusqu'à ce qu'une silhouette me semblant trop familière à mon goût face irruption dans mon champs de vision. Prise d'une inexplicable pulsion je laisse de quoi régler ma consommation sur la table et me précipite à sa suite. Il veut jouer ? On va jouer alors. 

BataillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant