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Le soleil s’est couché, le ciel s’est obscurci, toute la ville s’endort, mais Thierno n’a pas encore donné signe de vie depuis son départ précipité. Dialika, sa grande sœur, commence à s’inquiéter. Le quartier est dangereux, peu de personnes aiment son frère et celui-ci n’a plus un sou. Ces facteurs sont loin de la rassurer, et c’est avec une boule au ventre qu’elle décide de mettre son égo de côté pour lancer le numéro de Thierno.

─ Regarde ! Ta femme m’appelle.

─ Répond ! Elle doit sûrement se faire un sang d’encre.

─ C’est son problème.

Finalement, l’interlocuteur de Thierno s’empare lui-même du téléphone portable pour rassurer son épouse. Il lui explique que Thierno est avec lui et qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Dialika lance donc un ouf de soulagement avant de mettre fin à l’appel.

Après avoir fait le choix de s’éclipser définitivement du domicile de sa grande sœur, Thierno Gueye a erré dans le quartier avant d’atterrir sur le lieu de travail d’Albert, son beau-frère. En effet, le mari de Dialika est le vigile principal d’un quartier résidentiel et c’est à ses côtés que Thierno a choisi de passer la nuit.

Allongé dans la guérite, il discute de temps en temps avec Albert qui, lui, garde un œil sur les allées et venues des passants.

─ Il ne faut pas que tu prennes à cœur les remarques de Dialika. Tu sais bien comment elle est, n’est-ce pas ?

─ Oui, mais de là à dire que je vous encombre ! C’est un peu trop fort.

─ Pour moi, tu seras toujours le bienvenu. Ne t’inquiète pas pour ça ! Mais là où ta sœur a raison, c’est sur le boulot. Il faut que tu travailles.

─ J’en ai conscience. Le seul problème, c’est que je ne trouve pas encore le job qui me correspond.

Albert pouffe de rire.

─ Je t’ai déjà dit que si c’est le métier de tes rêves que tu attends, tu vas rester chômeur à vie. Il faut souvent accepter de commencer au bas de l’échelle.

─ Hum !

─ Tu es encore jeune et robuste. Je peux voir avec mes amis vigiles s’il y a un poste à pourvoir quelque part.

─ Albert, j’ai quand même un Bac+5.

─ Eh Thierno ! Tu es tellement têtu…

🧠🧠🧠

Anissa Jaber vient de dire au revoir au dernier serveur. Mais, le travail n’est pas encore fini pour elle. En effet, dès que le restaurant ferme ses portes, il est impératif qu’elle reste pour faire le bilan de la journée. Aujourd’hui, cela risque de lui prendre plus de temps vu que ses deux petites sœurs sont absentes.

Elle vient d’ouvrir une feuille sur Excel quand soudainement elle entend un bruit suspect. Ce sont les portes du restaurant qui sont en train de s’ouvrir alors qu’il est censé être fermé. Elle se demande qui peut être là à une heure aussi tardive de la nuit.

─ Qui est-ce ? hurle-t-elle.

Elle ne reçoit aucune réponse en retour. La peur commence à s’emparer petit à petit d’elle. Le seul objet à proximité dont elle peut se servir pour se défendre est un balai. Elle le tient fermement dans sa main avant de sortir de son bureau à tâtons. À peine est-elle sortie du bureau qu’un individu appuie sur l’interrupteur pour éclairer la cuisine. Prise de panique, la patronne crie et laisse tomber le balai.

─ Mais bébé, qu’est-ce qui t’arrive ? s’étonne Adam.

─ J’ai eu la peur de ma vie. Ne me refais plus jamais ça ! s’exclame Anissa en expirant de l’air bruyamment.

Son amoureux lui fait un câlin pour tenter de la calmer.

─ Pour ma défense, nous étions censés nous voir ici hein !

─ Oui, mais fallait décliner ton identité quand j’ai demandé qui c’était.

─ Je voulais te faire une surprise. Désolé mon cœur.

Main dans la main, le couple se dirige vers le bureau. À l’intérieur, Anissa demande à Adam de lui laisser le temps de finir son travail. Celui-ci n’y voit aucun inconvénient. Au contraire, il est fier d’avoir une partenaire aussi bosseuse.

Pendant qu’Anissa travaille, il préfère faire les cent pas. Il regarde un peu partout. Sur une étagère à côté de sa petite amie, sont empilés une tonne de curriculum vitæ. Il les regarde sans vraiment les regarder jusqu’au moment où son attention est captée par un CV en particulier.

─ Ça fait un bon bout de temps que tu regardes ce CV, fait remarquer Anissa. Il appartient à quelqu’un que tu connais ?

─ Euh… non. Je regardais comme ça.

Anissa se rapproche de lui.

─ Ah lui, c’est sa grande sœur qui nous a envoyé son CV. Elle nous a suppliées, Bushra et moi, de le prendre.

─ Vous devez le prendre alors !

─ Tout va dépendre de Maysân. J’ai trop de travail pour m’ingérer dans le choix du personnel.

─ Oui, mais c’est toi la patronne. Tu peux lui en glisser un mot.

─ Tu as pris son cas à cœur hein !

─ Non mais, l’histoire de la grande sœur qui vous a imploré de le recruter, ça m’a touché. C’est peut-être le dernier espoir de sa famille.

─ Si on devait se baser sur ça, on allait employer tout le monde ici.

Un instant plus tard, profitant de leur proximité et surtout de leur isolement dans le bureau, Adam tente d’embrasser sa chérie.

Elle le repousse poliment avant de retourner à sa place. Adam, la mine dépitée, s’assoit en face d’elle. Il sait déjà l’argument qu’elle va lui sortir pour justifier ce refus. Raison pour laquelle, il préfère lui-même prendre les devants.

─ Je sais que tu veux attendre le mariage. Mais là, c’est sûr qu’on va se marier vu que ta mère a levé son veto. C’est le moment de célébrer ça comme il se doit. Même un tout p’tit bisou m’irait.

─ Non, mon amour. Chaque chose en son temps.

─ Très bien. Si j’ai pu attendre deux ans, je peux bien attendre jusqu’à notre mariage.

─ En parlant de mariage, c’est vrai que ma mère m’a permis de me mettre avec quelqu’un qui n’est pas libanais, mais apparemment, il y a un autre problème.

C’est ainsi qu’elle lui fait part de la condition dont lui a parlé sa petite sœur. Adam voit rouge et assomme la table de son poing. Il était si heureux de pouvoir enfin se marier et le fait qu’il y ait encore un obstacle le met dans une rage indescriptible.

─ Calme-toi bébé !

─ C’est bon. Je suis calme.

─ Et si tu te convertissais à l’Islam ? suggère subitement Anissa. Tu peux le faire juste pour mes parents et après pratiquer ta religion à côté.

─ Tu sais très bien que ça ne marchera pas. On ne peut pas fonder un mariage sur un mensonge pareil.

─ Tu as raison. Je ne sais même pas pourquoi je t’ai proposé ça.

─ Écoute, je vais me présenter à tes parents tel que je suis. Qui sait ? Peut-être qu’ils m’accepteront. Qu’est-ce que t’en dis ?

─ Au stade où on est, je pense qu’on n’a plus d'autres choix.

Mariage de couverture Où les histoires vivent. Découvrez maintenant