Mon cher Thierno,
J’espère que cette lettre te trouve en bonne santé. La mienne a été éprouvée ces derniers jours à cause d’un mauvais cocktail que j’ai bu. Petit conseil : ne teste jamais les cocktails du centre commercial non loin de là où j’habitais.
Je parle au passé car si tu lis cette lettre, ça veut dire que je suis parti. Rassure-toi, je ne me suis pas ôté la vie. Mais, j’ai ôté ma vie de la tienne.
Après de longues réflexions, j’ai décidé de quitter le pays et d’ainsi mettre fin à notre histoire. Je me suis rendu à l’évidence que notre amour, aussi fort soit-il, est impossible. Si la vie nous a séparés une fois, ce n’était pas pour rien et on aurait dû respecter sa volonté.
Par ailleurs, tu as bien vu que ma passion n’était pas rentable en Côte d’Ivoire. Raison de plus pour retourner là où elle est née en moi.
J’aurais aimé t’emmener avec moi. Mais tu n’es plus seul. Aujourd’hui, tu as de magnifiques filles et de ce fait, tu seras toujours lié à elles et à leur mère. Tu as voulu m’ajouter à l’équation, mais je ne veux pas être celui à cause de qui le quatuor se transforme en quinté.
Je sais, tu méritais que j’aie une discussion avec toi. Mais comme d’habitude, tu aurais eu ce mot juste, ce geste qu’il faut pour m’attendrir et me ramener dans ce cercle vicieux. Il faut parfois prendre des décisions radicales et faire des sacrifices pour évoluer. C'est ce que j’ai dû faire pour moi, mais aussi pour nous.
Tu dois peut-être me trouver lâche d’avoir si vite abandonné mes rêves. Tu dois sûrement me détester pour avoir renoncé aussi facilement à notre idylle. Si tel est le cas, j’espère que la stabilité que je t’offre à l’incertitude qui aurait rythmé notre histoire t’emmènera à me remercier dans 10 ans.
Je suis de ceux qui pensent que certaines amours sont faites pour être vécues dans l’intensité et non dans la durée. C’est sur ces mots que je célèbre la fin de notre belle histoire.
Adieu, Gil-Loïc.
Thierno a relu la lettre 11 fois. Au fur et à mesure qu'il lisait et relisait, sa peine s’intensifiait un peu plus car chaque lecture supplémentaire l’éloignait du choc pour le confronter à la réalité.
Son visage est neutre, aucunement marqué par la gravité de sa découverte. Tout le chaos se manifeste à l’intérieur de lui.
Lorsqu’il a découvert l’enveloppe contenant la lettre sur son bureau, il a pensé qu’il s’agissait simplement d’un courrier oublié la veille. Il se demande par l’intermédiaire de qui cette lettre s’est retrouvée dans son espace de travail alors qu’il était fermé à clé. Il revêt donc sa cape d’enquêteur afin de percer le mystère.
Le co-gérant du restaurant rassemble tous les employés. Il y a de nombreux clients, mais ce n’est nullement son affaire.
─ J’ai retrouvé une enveloppe dans mon bureau. Pourtant, il était fermé à clé. Qui d’entre vous l’a déposée là-bas ?
Les serveurs se regardent, l’air étonné.
─ Je vous parle non ?! hurle Thierno en tapant du poing sur une table.
─ Ce n’est pas moi, répètent successivement les employés.
Leur patron soupire. Au même moment, Anissa sort de son bureau. Elle reste en retrait pour assister à la scène.
─ Vous me prenez pour un débile ou quoi ? Si le facteur ou le pigeon voyageur ne veut pas se dénoncer, je vous vire tous. Vous avez une heure pour me trouver le coupable.
Cet avertissement laisse place à une cohue générale. Thierno n’en a que faire. Il les abandonne dans leurs complaintes et retourne dans son bureau.
─ Je ne l’ai jamais vu dans cet état. Pourtant, je le connais très bien, déclare Apo. Je me demande ce qu’il y avait dans cette enveloppe.
─ On se le demande tous, répond un technicien de surface.
Thierno relit la lettre dans son bureau avant de se rendre dans le bureau d’à côté.
─ Ça tombe bien ! Je comptais aller te voir. Je voulais te laisser du temps pour te calmer.
─ Anissa, je veux que tu ailles parler au personnel. L’un d’entre eux a fait irruption dans mon bureau. Je veux savoir qui c’est.
─ Je t’observais quand tu en parlais tout à l’heure. Apparemment, on t’a laissé une enveloppe.
Thierno sort une feuille de sa poche qu’il tend à Anissa. L’ainée des Jaber fait mine de découvrir le contenu de la lettre alors qu’elle a été rédigée en sa présence. En effet, c’est à cette dernière que Gil-Loïc a confié son mot. Elle a donc attendu qu’il soit bel et bien hors du pays avant de déposer soigneusement la lettre sur le bureau de son époux. Thierno est tellement perturbé par le fait d’avoir été largué aussi brutalement qu’il a oublié qu’Anissa est la seule à avoir le double de toutes les clés du resto.
─ C’est choquant ce qu’il t’a fait ce Gil-Loïc. Mais comment il a pu ?
La libanaise espère que son ton faussement choqué est assez crédible pour ne pas éveiller les soupçons de son interlocuteur.
─ Je ne sais pas ce qui s’est passé pour qu’il prenne une décision aussi radicale. Je suis complètement perdu en fait. C’est pourquoi je veux mettre la main sur la personne qui a déposé cette lettre dans mon bureau. Peut-être que ça va me permettre de pouvoir entrer en contact avec…
─ Non, arrête ! Tu te fais du mal pour rien. Même si tu découvres la personne qui a déposé cette lettre, ça ne va rien changer. Il est parti et il faut que tu l’acceptes.
─ Facile à dire.
─ Arrête de t’en prendre aux gens qui travaillent ici ! Ça peut être quelqu’un d’extérieur. Tu ne sais pas…
Thierno n’a plus envie d’écouter Anissa. Lentement, il sort alors qu’elle est en train de lui parler. Il se réfugie dans son bureau durant toute la journée.
Le soir, après que tous les serveurs soient rentrés chez eux, il est temps pour Anissa de tout fermer. Habituellement, Thierno s’éclipse avant elle. Mais cette fois, il est encore là. Perdu dans ses pensées, il est assis à la table où lui et son amour perdu ont discuté lors du brunch des ex.
─ Il est tard. Il faut qu'on rentre, recommande Anissa.
─ Non, j’ai besoin de rester seul. Je vais rentrer après.
─ Les filles vont te réclamer. Tu comptes venir à quelle heure ?
─ Je ne sais pas. Si je ne viens pas à temps, dis à la nounou de te donner le recueil de contes ! Tu devras leur conter l'histoire de Mami Wata.
─ D'accord.
Anissa sort, s’installe dans la voiture et patiente pendant un quart d’heure.
Ensuite, elle retourne dans le restaurant persuadée que Thierno aura besoin de compagnie. Les soupçons de la trentenaire se sont avérés justes car elle retrouve son mari au bord des larmes.
Sans dire un mot, elle lui donne un paquet de mouchoirs. Par la suite, elle passe un coup de fil à la nounou des jumelles.
─ Allô tantie !
─ Allô ! Les filles ont déjà pris leur bain ?
─ Oui, et elles viennent même de manger.
─ Très bien. Dans une heure, je veux qu'elles soient au lit ! On ne va pas vite rentrer ce soir.
Thierno, à côté, essuie ses larmes.
─ N'oublie pas de lui dire qu'elle doit leur lire le conte de Mami Wata, rappelle-t-il.
Anissa passe la commission à la nounou avant de raccrocher de téléphone. Thierno se remet à pleurer de plus belle.
La libanaise lui prépare du chocolat chaud afin de lui remonter le moral. La soirée va être longue. Très longue !
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Mariage de couverture
RomanceC'est l'histoire de l'union entre une hétéro et un homo. Généralement, c'est le gay qui se sert d'une femme afin de cacher sa sexualité. Mais, dans ce récit, c'est la non-gay qui utilise le non-hétéro pour se couvrir. Mais de quoi ? Lisez donc pour...