- Chapitre 66 -

39 1 0
                                    

Poussée par un mélange de curiosité, d'inquiétude et de douleur, je me dirige lentement vers la salle de bain. À chaque pas, la douleur vive de la gifle reçue quelques instants plus tôt se ravive, comme une marque indélébile. Devant le miroir, mon regard est immédiatement attiré par ma lèvre, légèrement fendue, un signe indéniable de la violence de l'impact. Ce reflet abîmé est à la fois un avertissement et un étrange soulagement : une simple gifle, bien que brutale, me semble être une peine légère comparée à ce dont Arès pourrait être capable dans un accès de rage incontrôlable.

J'inspire profondément, et ma poitrine se soulève dans un effort pour dompter la douleur. Mes doigts tremblants touchent doucement ma lèvre, et le moindre contact me fait grimacer. J'ouvre le robinet et passe mes mains sous l'eau fraîche, espérant que cela atténuera l'ardeur de ma blessure. Mais ce répit est de courte durée. Je sens sa présence avant même qu'il n'entre : l'air devient plus lourd, et une tension familière s'installe.

Arès pénètre dans la salle de bain, silencieux, mais sa silhouette imposante remplit immédiatement l'espace exigu, imposant son autorité. Il ne dit rien, mais ses yeux s'arrêtent sur ma lèvre, et une ombre passe sur son visage. Avec une certaine brusquerie, il s'avance vers moi et, sans un mot, ouvre l'armoire à pharmacie pour y prendre une trousse de secours. Il sort une compresse et un flacon de désinfectant qu'il humidifie avec des gestes précis et déterminés. Cette attention inattendue, bien qu'elle ne soit accompagnée d'aucune tendresse, me surprend.

Il se rapproche davantage, réduisant la distance entre nous à presque rien. D'un mouvement ferme, il prend mon menton entre ses doigts et incline légèrement mon visage, m'empêchant de détourner les yeux. Je ressens une montée de panique, une envie irrépressible de fuir ce contact forcé, mais je me retrouve clouée sur place, comme enchaînée par la puissance de son regard. Ce qui suit est à la fois douloureux et presque réconfortant : il presse la compresse contre ma lèvre blessée, appliquant le désinfectant avec une certaine rudesse. Le produit pique, brûle, mais je reste immobile, retenant mon souffle pour ne pas montrer la moindre réaction.

Le visage d'Arès est si proche que je distingue chaque ligne, chaque ombre qui traverse ses traits. Son expression, froide et distante, est paradoxalement chargée de quelque chose de presque protecteur. Il ne dit rien, mais ses yeux laissent entrevoir un éclat fugace, une étincelle de ressentiment, peut-être même de culpabilité, qui me déroute totalement. Pourquoi s'embarrasse-t-il de prendre soin de moi après m'avoir infligé cette douleur ? Ce geste semble plein de contradictions. Une part de moi veut y voir une once d'humanité, mais une autre, plus pragmatique, sait qu'il pourrait s'agir d'une simple manœuvre pour asseoir davantage son contrôle sur moi.

Alors qu'il maintient la compresse contre ma lèvre, le silence dans la salle de bain devient presque insupportable, lourd d'une tension que ni lui ni moi ne parvenons à dissiper. Chaque seconde qui s'écoule renforce mon malaise, et pourtant, au fond de moi, une étrange gratitude émerge. Ce sentiment est inattendu, contradictoire, une émotion que je ne parviens pas à réprimer. Comment est-il possible d'éprouver à la fois de la peur et de la reconnaissance ? Comment naviguer dans cette relation instable, où la douceur et la brutalité se mêlent de façon aussi troublante ?

Finalement, il brise le silence d'un murmure, sa voix rauque résonnant comme un écho glacial dans la pièce. "Ça ira," lâche-t-il d'un ton neutre, presque désintéressé, mais une pointe d'irritation se glisse malgré lui dans ses paroles. Il retire la compresse et la jette dans la poubelle avec un geste sec, presque agacé. "Ne te mets pas dans des situations qui nécessitent des soins." Je comprends immédiatement la portée de ses mots : derrière l'apparence d'un conseil se cache un avertissement, une mise en garde qui résonne comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Chaque décision, chaque mouvement, pourrait être décisif pour ma survie dans cette relation instable.

Je hoche lentement la tête, mes yeux toujours baissés, évitant de croiser son regard qui, je le sais, est chargé de reproches et d'une colère contenue. Il me fixe encore un instant, puis tourne les talons et quitte la pièce sans un mot de plus, me laissant seule face au miroir. Je reste immobile, figée par la complexité de ce moment. La douleur de ma lèvre blessée se mêle à la confusion de mes pensées. Cet homme qui peut être à la fois brutal et, par moment, étrangement attentionné, représente un labyrinthe émotionnel duquel je n'ai aucun espoir de m'échapper indemne.

Je m'appuie contre le rebord du lavabo, fermant les yeux pour essayer de rassembler mes pensées. La situation semble sans issue, une spirale dans laquelle je me sens piégée, incapable de retrouver un semblant de contrôle sur ma propre vie. Derrière mes paupières closes, les souvenirs défilent, fragments d'instants où Arès avait su se montrer attentionné, presque charmant. Mais chaque image de tendresse est systématiquement ternie par la froide réalité de sa violence imprévisible. Combien de fois encore devrai-je subir ses coups avant que cette lueur d'humanité, si tant est qu'elle existe, ne disparaisse totalement ?

Les minutes passent, et je finis par rouvrir les yeux, fixant mon reflet. Le visage qui me fait face est celui d'une inconnue, une femme marquée par la peur et l'incertitude. Où est passée celle que j'étais avant de le rencontrer ? Une question sans réponse, qui me laisse avec un vide grandissant.

Finalement, je quitte la salle de bain, mes pas résonnant faiblement dans le couloir, comme une petite musique morne accompagnant mon retour vers la chambre. La pièce est sombre, et l'atmosphère y est pesante, un silence qui m'enveloppe et m'étouffe presque. Je m'assois sur le bord du lit, ramenant mes genoux contre moi, et pose mon menton sur mes bras repliés, comme pour me protéger du froid de la solitude. J'ai l'impression d'être enfermée dans un huis clos émotionnel où les murs se rapprochent de jour en jour, et où la lumière du dehors s'efface peu à peu.

Je repense à ses mots, à la froideur avec laquelle il m'a conseillé de ne pas me mettre en danger. Ironique, quand on sait que ce danger émane de lui, de cet homme qui semble jouer avec mes émotions comme un prédateur rôde autour de sa proie. Ses sautes d'humeur, imprévisibles et terrifiantes, sont une torture psychologique, une manipulation subtile qui me pousse dans mes retranchements, m'éloignant toujours plus de toute résistance.

Mais alors que je suis là, recroquevillée sur moi-même, une idée insidieuse commence à s'infiltrer dans mon esprit. Et si, au lieu de subir, j'apprenais à anticiper ses réactions ? À comprendre le mécanisme de sa colère pour éviter, autant que possible, de déclencher sa rage ? Une pensée dangereuse, certes, mais peut-être mon seul espoir pour survivre. Arès est imprévisible, mais il est aussi humain, et tout humain a ses failles. Peut-être qu'en observant, en analysant, je parviendrai à comprendre comment m'adapter pour éviter sa violence.

L'ombre de la nuit s'épaissit autour de moi, mais je sens une lueur de détermination naître en moi. Cette idée me donne un but, aussi ténu soit-il, un plan pour essayer de reprendre une infime partie de contrôle sur ma vie.

PersiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant