Newton
— Tu vas rester longtemps planté devant cette fenêtre ?
D'une lenteur macabre, je déporte le regard en direction de la brune adossée contre le mur du salon. Fatigué d'attendre un signe, j'abandonne mon poste un court instant avant de m'affaler dans un fauteuil. Phoebe prend place en face de moi, croisant ses longues jambes en me toisant d'un regard curieux.
— Même moi, je sais qu'elle n'est pas encore rentrée. Et même lorsque ce sera le cas, tu passeras seulement les prochaines heures à observer sa baraque comme un psychopathe. Ça fait une semaine, Newton.
Les dents serrées et les nerfs échauffés, je fouille la poche de mon jean à la recherche de la poudre miracle qui me maintient sur pied. Sans relever les remontrances de Phoebe qui sortent de nulle part, je dépose un trait de cocaïne sur le dos de la main, puis m'empresse de la sniffer. La tête balancée en arrière, je frotte mes narines asséchées et ferme les paupières pour espérer calmer la noirceur qui trotte dans mon esprit.
— Tu veux me dire ce qui se passe ?
— Ferme-la, Phoebe. J'ai pas besoin d'une psy.
La brune expulse un rire nasal. Lorsque je me redresse pour l'observer, je l'aperçois secouer la tête, un sourcil arqué.
— Si tu veux mon avis, c'est justement ce dont tu aurais besoin, ajoute-t-elle en faisant pianoter ses ongles sur l'accoudoir. Je t'entends parler dans ton sommeil toutes les nuits. Parfois tu hurles, parfois tu supplies. Je ne sais pas ce que tu as vécu là-bas, mais tu devrais te faire aider.
Je roule des yeux avant de bondir sur mes pieds, boosté par un shoot d'énergie qui ne sera que de courte durée.
— Quand tu auras fini de me faire chier avec ta morale à la con, fais-moi signe. Je sors.
D'un sifflement, j'interpelle Calliope qui se rue aussitôt sur mes jambes. Tout en remuant son derrière, elle me tourne autour, déjà fin prête pour sa balade.
Plus j'observe ses billes noires pétillantes, plus je comprends pourquoi Calliope adore ces chiens. Elle paraît tout le temps heureuse, et je dois dire qu'être à l'origine du bonheur de cet animal change de mes habitudes. Elle est le seul être sur Terre que je ne déçois pas, la seule qui m'aime malgré les actes affreux que je commets. La seule qui ne me juge pas, peu importe ce que je fais.
— Et moi, quand est-ce que je pourrai sortir ? grommelle Phoebe, avachie dans le fauteuil.
— Si tu veux crever, tu peux sortir quand tu veux. Sinon, tu attendras encore.
Elle râle bruyamment, telle une gamine à qui l'on refuse un bonbon. Mais au lieu d'être une gamine, c'est une femme qui l'ouvre un peu trop et qui s'est mesurée à plus fort qu'elle.
— Il va quand même falloir que tu m'achètes des tampons. Parce que j'ai bientôt mes règles, et tu comprends bien...
Avant qu'elle ne termine sa phrase, je claque la porte derrière moi et inspire une bonne dose d'air frais. Mes pensées sont trop emmêlées pour l'écouter parler durant des heures de ses menstruations, je n'ai clairement pas la tête à ça. D'ailleurs, je ne veux plus entendre sa voix durant les dix prochaines minutes. J'ai besoin de calme pour apaiser mes nerfs.
Suivi de près par Calliope qui s'arrête régulièrement pour renifler la nature, je plante une cigarette entre mes lèvres et l'allume. Le cerveau éteint, je laisse mes pensées divaguer en déambulant mécaniquement dans la rue calme où j'ai élu domicile depuis plus de deux mois.
En arrivant, j'imaginais que ma mission serait facile.
Je n'avais qu'une chose à faire : soutirer des informations à la belle blonde, puis disparaître à tout jamais de son existence. Il est clair que j'ai totalement échoué. Non seulement je n'ai rien tiré de nos longues conversations, et surtout, je ne parviens plus à m'éloigner d'elle. Sa voix me hante, son sourire m'engourdit et ses iris à deux couleurs m'ensorcellent.
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Face à face
RomancePour Calliope, l'enfer rime avec lycée Crestwood High, et cette dernière année va d'autant plus forger sa conviction. Entre des parents absents, son harcèlement constant et une douleur qu'elle cache derrière une apparente froideur, sa vie est un vér...