15. Je te jure que ce n'était pas intentionnel

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[Chapitre corrigé]

J'ouvris la bouche pour parler. Pour protester, lui dire qu'elle était folle. Qu'elle rêvait – comment est-ce que ça aurait pu être réel ? Être une magicienne, être recherchée, quelques semaines auparavant, je ne l'aurais absolument pas cru. Mais je refermai ma bouche à l'instant où le doute me traversait, cette fine limite entre rêve et réalité. J'avais atteint un point de non-retour, et protester ne m'avancerait en rien.

- Ariana ? cligna des yeux Laura à plusieurs reprises. Honnêtement, je m'attendais à un peu plus de réactivité de ta part.

- Je ne sais même pas si ça me perturbe réellement, ou si je commence petit à petit à accepter les choses. Tout se mélange dans ma tête, mais c'est un peu comme si ça avait toujours été ma vie. En y réfléchissant, tout semble coïncider.

L'impossible n'était pas dans l'acceptation de la magie – enfin, pas totalement. J'avais toujours été différente, exclue de la société humaine. Mais tout réaliser, tout comprendre, là, ça se compliquait. Comment est-ce qu'on le déclenchait ? Parce que devoir calmer mes émotions constamment pour éviter le massacre risquait d'être complexe – être lunatique sur les bords n'a jamais fait de mal à personne.

Laura fronça les sourcils, et posa ses deux mains sur mes épaules, un visage déterminé fixé sur moi. Je compris instantanément ce qu'elle allait me dire, grimaçant d'avance.

- Maintenant qu'on en est aux révélations : notre tuteur, je veux savoir de qui il s'agit – même si j'ai ma petite idée, pour être honnête.

Je fis la moue et secouai négativement la tête.

- Ce n'est pas une très bonne idée.

- Oh, Ariana, je ne suis pas en sucre – ou alors un sucre si vieux qu'il en est devenu quasiment incassable. Les Brown me terrifient, certes, ils m'ont torturée il y a très longtemps, certes, mais je ne vais pas mourir d'une petite cohabitation – tant que nos chambres sont séparées, je n'aurais aucun mal à m'en sortir.

- Comment as-tu su ?

- Facile, soupira-t-elle en s'éloignant, se repliant sur elle-même. C'est la seule personne atroce que nous ayons en commun pour l'instant. Alors c'est réellement eux...

- Je suis désolée.

Elle hocha la tête lentement pour toute réponse.

Nous fîmes nos valises en silence. Parfois, Laura avait des absences de quelques secondes, pendant lesquelles elle semblait autre part – mais ça ne changeait pas beaucoup de d'habitude. Elle se réveillait rapidement pour reprendre sa besogne. Etant donné le peu d'affaires nous appartenant, nos sacs restaient plutôt vides – aucun souvenir, aucun argent, aucun objet précieux.

La chambre fut vidée en avance, nous laissant le temps de nous préparer. Je brossai mes cheveux emmêlés pour les tresser assez rapidement. Une longue natte bleue tomba sur mon épaule, de son bleu aussi intense qu'un ciel de nuit jusqu'au bleu océan des plages de sable. Histoire de me rafraichir, j'allai à la salle de bain asperger mon visage d'eau froide, le débarbouillant par la même occasion. Laura m'y rejoint et fit de même tel un zombie, le regard dans le vague – si elle pouvait se réveiller.

Le jet d'eau gagna en puissance, d'un seul coup, et éclaboussa Laura qui me fusilla du regard instantanément.

- Parfait, Ariana, je suis trempée maintenant.

Je haussai les épaules alors qu'elle tentait de refermer l'eau – mais même une fois la poignée abaissée, le jet continua tranquillement son évacuation.

- Je te jure que ce n'est pas intentionnel, dis-je en levant les mains en signe d'apaisement.

Une fille entra, détournant mon attention une seconde de trop ; je détournai mon regard mais l'eau suivit, inondant son visage. Elle écarquilla les yeux et sortit précipitamment de la salle, vociférant des injures.

- Aria...

Je me concentrai sur l'eau, plissant les yeux en lui demandant d'arrêter ça – mais sans beaucoup de succès, comme vous pouvez le deviner. Puis ma main se tendit en avant, comme par automatisme, et j'ordonnai mentalement au jet de s'arrêter, avec beaucoup plus de conviction. Je sentis une boule de peur se former au creux de mon ventre alors que l'eau se décidait enfin à ne plus couler. Ça n'avait pas grande importance, mais je ne réussis pas à calmer ce sentiment qui grandissait en moi, même après de longues et lentes respirations – ce qui fonctionnait habituellement.

Une heure en avance, nous sortîmes devant l'orphelinat. Pour une fin d'année – dans les environs de septembre, peut-être avions-nous passé octobre – l'air était assez doux, si bien que de nombreux patients profitaient ici des dernières tendresses du vent, des dernières chaleurs réticentes à partir. J'effleurai la tombe de Delia et celles d'autres élèves que je ne connaissais pas, leur soufflant mes adieux. Nous arrivâmes devant l'entrée de l'orphelinat, dans une sorte d'allée bordée par un jardin – relatif, l'herbe y restait rare et peu entretenue. Laura rejoint Cam en trottinant, alors je l'accompagnai – mais ce dernier paraissait soucieux et fatigué.

- Waouh. Fais attention, tu vas finir par avoir des rides à froncer les sourcils comme ça.

Elle plaisantait, mais l'inquiétude se lisait dans son regard – inquiétude qui se renforça quand les yeux émeraude voilés se posèrent sur elle. Il haussa les épaules et détourna à nouveau ses yeux vers le vide du ciel.

- Ce n'est pas important. On s'en va je-ne-sais-pas-où avec je-ne-sais-pas-qui, et je déteste ça. Daniel va se rendre malade d'inquiétude, et je suis un crétin de faire comme lui.

La boule de stress – faites que ce soit du stress – sembla grossir dans mon ventre, devenir ingérable.

- Cam... commença Laura.

Je me pliai en deux sous la douleur – quelque chose de maléfique tentait de refaire surface, et autant dire que ce ne serait bon pour personne. Mon esprit tentait pourtant de contenir cette force, il savait qu'elle était néfaste. Mais c'était tellement douloureux ...

Un coup de vent nous fit glisser quelques mètres plus loin, qui n'avait probablement rien de naturel, et je sus que j'avais perdu à l'instant même où je me sentis grisée par la magie. Cam grogna alors que je tombai à genou, voyant de mes yeux flous les élèves qui cherchaient à rentrer – mais une bourrasque de vent les propulsa loin de l'entrée. Je me relevai, lentement, très lentement. Je n'étais pas suffisamment forte pour contrer cette puissance qui s'écoulait en moi... qui provenait de moi. Je le savais, et je ne pouvais rien y faire. Une fois encore, je n'étais pas actrice, pas active de ma propre vie.

- Accrochez-vous à quelque chose, hurla un garçon qui avait crocheté ses bras à un poteau.

Plus facile à dire qu'à faire, pas vrai ? Les adolescents paniqués tentèrent de mettre à exécution les conseils de ce garçon, mais je restai plantée là, comme si le vent ne pouvait pas m'atteindre – mais je n'étais plus là, plus moi-même.

La boule de magie s'échappa de mon corps, et une bulle bleu clair m'entoura. Mes yeux prirent la même couleur, presque translucides, possédée par quelque chose que je ne contrôlais pas. Je me positionnai en fente et levai les bras. Une rafale puissante s'enroula sur une autre, puis encore une autre, créant lentement une petite tornade qui fit céder quelques élèves. Cam se rapprocha de moi, passant d'arbre en arbre, s'attachant à tout ce qui tenait bon sans oser déplier ses ailes – il était plus faible que je ne l'étais, ne pouvait rien faire contre moi. Les arbres craquaient, les poteaux pliaient, et les élèves commençaient à s'envoler un par un, puis les professeurs et les gardes paniqués.

Alors que je me préparais à faire empirer les choses, une masse me tomba à l'arrière du crâne, sans doute sur le cou – un poing drôlement puissant. Je ressentis un choc étrange qui paralysa tout mon corps et m'écroulai. Je sentis mes forces me quitter, et Cam me souleva, moi et mon corps mou, un regard désespéré et presque amusé. Fichu démon.

Je fis la grimace avant de fermer les yeux pour évacuer tout ce qu'il y avait de mauvais actuellement dans mon corps – moi, donc.

La Prophétie des Surnaturels  ~ 1. MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant