Je reste dans la même position quelques secondes encore, incapable d'accepter que ce moment soit terminé. Lorsque c'est finalement le cas, je m'écarte de la porte, laissant mes doigts tremblants dessus jusqu'à la dernière seconde. Je prend la barre de céréale et la pomme un peu abîmée par son trajet sur le sol. Je les manges par petites bouchées, le regarde dans le vide. La barre de céréale en premier et la pomme ensuite. Mon esprit est ailleurs, encore avec papa. Oui, papa, le vrai et non le monstre qui l'a remplacé pendant des mois. Peut être que le lien que j'ai, que nous avons ressentis pendant ce court instant lui fera changer d'avis sur lui-même. Peut être me laissera-t-il sortir.
Après avoir mangé ce léger petit déjeuné, n'ayant pas grand chose à faire sans internet ou téléphone, je m'assoie sur la chaise de mon bureau et regarde chaque feuille, certaines rapidement, d'autres méticuleusement. Ce sont tous mes textes. Les plus vieux sont rangé et non jetés au coin supérieur de mon bureau et datent d'avant l'accident de voiture. Les autres sont disposés n'importe comment. J'en prend un au hasard et commence à le lire.
« Aujourd'hui je ne sais pas quoi écrire. C'est vrai, quand on n'a pas à se plaindre de nos problèmes quotidiens, on ne sait plus de quoi parler. On peut écrire des milliers de textes avec notre peine, notre rage, nos idées différentes des autres mais lorsqu'on est heureux, le tour est vite fait. Expliquer à quel point notre vie est agréable n'a pas d'intérêt. »
Je souris à ce petit paragraphe. Un jour sans inspiration, un jour de bonheur qui maintenant m'est si rare de trouver. Je prend une autre feuille de la même pile.
« Avoir deux parents qui vous aimes est tellement bénéfique. Mes amis me parlent sans cesse de leurs problèmes : des parents qui ne s'entendent plus, des parents qui divorcent, d'autres qui le sont déjà... Je n'arrive pas à m'imaginer vivre sans l'un deux, ou devoir choisir entre ma mère et mon père. Ça m'est impossible. »
C'est incroyable de voir à quel point une vie peut changer du jour au lendemain. En lisant ces petits textes je me rend compte que ma vie était en quelque sorte... Parfaite ? Je n'avais aucun problème familial, de bons résultats à l'école et des amies... Maintenant je sais qu'elles n'étaient pas vraiment des amies, mais à cette époque cette simple illusion m'était inconnue.
Cette fois ci, je prend une feuille qui a été jetée sur le bureau. Je sais que je l'ai écrit après le drame. Peut être au début de ce qui est devenue l'enfer pour moi.
« Je ne pensais pas que ressentir une telle douleur était possible. J'ai l'impression qu'elle n'a pas diminué depuis les 7 jours de sa mort. J'ai l'impression qu'elle ne diminuera jamais. Comment accepter cela ? Comment vivre avec ? Je n'arrive pas à faire semblant que tout va bien. Mon petit monde s'est écroulé. Je sais que je ne serais plus jamais la même. Je n'arrive pas à arrêter de penser à elle. Son visage hante mes pensées chaque jour, chaque minute, chaque seconde. »
Je prend un second texte.
« Deux semaines. Deux semaines que je dois vivre sans elle. Deux semaines que chaque soir, je me couche sans son baiser. Je n'arrive pas à prétendre que je vais bien. Je n'arrive pas à sourire. Papa non plus. J'essaie de l'aider, même si je voudrais que ce soit l'inverse. Je ne peux pas lui en vouloir : j'ai perdu une mère, il a perdu une épouse. Hier, il est rentré ivre du bar à cinq heures du matin. J'ai peur. »
J'en prend un troisième dans la foulée.
« Trois semaines. Papa essaie d'accepter sa mort de la pire façon qu'il soit. Il boit, boit et ne s'arrête jamais. Il s'éloigne de moi de plus en plus. Il ne me parle pratiquement plus. En plus d'apprendre à vivre sans maman tout en essayant d'accepter sa mort, je dois accepter le changement de comportement de mon père.

VOUS LISEZ
Le Centre
Novela JuvenilJe m'appelle Alison et j'ai seize ans. Ma vie a basculé il y a deux ans dans un accident de voiture. Après cela, la violence faisait partie de mon quotidien. Aujourd'hui, grâce à la découverte d'un lieu unique, je peux enfin m'autoriser à vivre. J'a...