Chapitre 45

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Jade et moi restons ensemble pour le déjeuner. Nous nous sommes installées sur une table du genre pique nique dans l'enceinte du lycée pour manger ce que nous avons nous-même apporté : c'est à dire sandwich au jambon pour moi et salade pour elle.

J'aurais préféré repartir au Centre pour me plaindre et trouver une excuse pour ne pas revenir ici, mais j'ai envie de la connaître. Aujourd'hui, je me trouve des qualités de sociabilité. J'apprends pas mal de choses à son sujet : elle vient d'une ville du sud, ce qui explique un léger accent typique, elle fait de la danse moderne depuis près de sept ans, ce qui explique son corps de rêve, et elle a un petit frère de dix ans, ce qui explique... Je ne sais pas. Je n'ai pas d'explication à tout !

Comme je m'y attendais, Coralie et Valentine finissent par venir nous voir avec un air moqueur. Elles s'assoient avec nous sans un mot, avant d'attaquer. Oui, je crois que leur vie de gosse de riche est trop ennuyante : leur seule source d'excitation est de s'acharner sur moi, ancienne amie qui a au le malheur de s'éloigner d'elles. Il faut qu'elles viennent pourrir la vie des gens honnêtes.

- Alors les filles, c'est super,nous sommes dans la même classe ! Nous balance d'un ton bien ironique Valentine. Alison, nous pourrons bientôt venir faire des soirées chez toi vu que ton père doit passer son temps au laboratoire ! J'espère que tu ne vas pas finir par prendre la grosse tête... si ce n'est pas déjà fait.

Elles cherchent à m'énerver, elles ont réussis. Mais je ne leur montrerai pas. Je vais simplement me montrer désinvolte tout en gardant le contrôle. Enfin, cette partie risque d'être plus complexe. J'ouvre la bouche sans trop savoir quoi leur répondre, et les mots fusent sans passer par le contrôle de mon cerveau :

- Dis moi, ça te dérangerait de partir ? Je pense que je pourrais me passer de vos conneries.

- Ses conneries ? Fait semblant de s'indigner Coralie. Nous essayions simplement d'engager la conversation avec vous. Vous n'avez pas besoin d'être vulgaires.

J'en viens sérieusement à me demander comment j'ai pu être un jour amie avec ces filles. Je ne me rendais pas compte de leur comportement. A vrai dire, elles n'étaient pas comme cela avant. Mais qu'est-ce qu'elles ont contre moi ? Je serre les poings et m'apprête à l'insulter de tous les noms, mais heureusement, Jade me devance :

- Vous vous foutez de moi ? Depuis ce matin vous vous acharnez sur elle, et derrière son dos ! Vous dites n'importe quoi à n'importe qui ! C'est quoi votre problème ? A ce que je sache elle ne vous a rien fait, je me trompe ? Vous ne vous sentez pas assez importantes alors vous rabaissez les autres, c'est ça ?

- Tu te prends pour qui pour nous parler comme ça ? Demande avec malice Coralie.Tu sais que nos parents font partis du conseil ? Nous pourrions te faire virer en quelques coups de fil. Surtout que tu es nouvelle, et d'après ton dossier, tu n'es pas la meilleure élève qu'il soit.

Je n'y crois pas : elle a lu son dossier ? Mais quel genre de folle est-elle ?Je lis une vrai menace dans ses yeux. Elle met au défis Jade de continuer son numéro de dure à cuir. Personnellement je n'ai pas l'impression qu'elle joue un rôle pour les intimider, je pense que c'est tout bonnement qui elle est : une protectrice.

Et elle me le prouve.

- Bon écoute, tu vas bouger tes jolies petites fesses d'ici et aller casser les pieds à d'autres personnes. Nous ne sommes pas là pour supporter ta crise d'adolescence à deux balles. Va courir dans les bras de papa/maman et revient quand tu auras appris la définition des mots « maturité » et « respect », okay ?

Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire face à son attitude. Elle leur dit les quatre vérités sans mâcher ses mots et sans avoir peur des représailles. Si seulement je pouvais avoir le même caractère. Lorsque moi, je m'énerve, je donne l'impression d'être une petite fille de six ans qui dit « attention » en agitant son index de haut en bas de manière ridicule.

Je reviens à la réalité lorsque je me rend compte que Valentine et Coralie se lèvent en poussant des « pfff » qui ne font qu'aggraver leur cas. Jade a bien entamé la destruction de leur dignité.

- Vous ne perdez rien pour attendre toi et ton chien de garde, me lance Coralie dans une ultime tentative de retrouver un minimum de contenance.

Mais ça ne sert à rien.

Car j'arrive enfin à placer un mot.

- Vous vous enfoncez là. Franchement, c'est toi qui parle de chien de garde alors que tu suis Valentine partout depuis des mois en faisant tout ce qu'elle te dit? Non, tu as raison, tu n'es pas son chien de garde. Seulement son toutou de compagnie.

Jade explose d'un rire joyeux. Et je fais de même en regardant nos adversaires s'éloigner tout en pestant contre nous à l'aide de regards noirs.

- Je suis fière de nous ! Je m'exclame en lui tapant dans la main.

- Je ne pense pas qu'elles reviendront de sitôt !

Nous savourons ensuite notre déjeuner tout en parlant de tout et n'importe quoi. Pendant un instant, j'oublie que je ne suis pas une ados avec une vie normale. Nous parlons de films, de livres... Nous nous trouvons des passions communes comme l'écriture. Elle m'apprend qu'elle adore la musique mais malheureusement, elle n'a aucun talent : elle se contente donc de l'écouter. Je suis heureuse que la seule place de libre ce matin ait été à côté d'elle. Le destin nous réserve parfois de belles surprises. Elle semble être le genre d'amie loyal, prête à tout pour protéger ceux qu'elle aime. Alors oui, je risque de lui accorder ma confiance un peu trop rapidement.

- Dis moi, ce n'est pas trop compliqué d'avoir un père qui va bientôt être adulé par l'ensemble des adolescents du pays ? Elle me demande sans raison apparente.

Cette question me noue la gorge. Le souvenir de sa violence refait surface avec la force de l'un de ses coups de poings. J'ai envie de lui dire la vérité à propos du virus. A vrai dire, j'ai envie de monter sur notre table de pique nique bancale pour hurler à tout le monde la vérité.

Mais je ne peux pas.

Tout le monde me prendrait pour une folle. Et en plus de me mettre en danger, le Centre entier le sera également

- Ça ne me fait pas grand chose puisque ce ne sera pas le cas, je finis par lui répondre tout simplement.

Elle fronce les sourcils.

- Comment peux-tu le savoir ?

- Sais-tu qui a créé le vaccin contre la grippe ? Je lui demande. En sachant qu'il a sûrement permis à plus de personnes de vivre puisque cette maladie n'attaque pas seulement une tranche d'âge.

- D'accord, tu as raison, elle concède.

La journée se poursuit avec plus de légèreté que je ne pensais qu'elle le pourrait. Oui, le mot « légèreté » est un peu trop intense, mais je l'aime bien. Avoir un début d'alliance avec une personne fait perdre le poids du stress des premières heures de la rentrée. Les cours de cet après-midi sont les moins pénibles de la semaine : une heure et demi d'anglais, suivis tout simplement d'une heure et demi d'espagnol.

Il me tarde beaucoup trop de rentrer au Centre voir mes amis... et mon petit-amis. Je regarde ma montre toute les minutes avec l'impression que l'aiguille s'est arrêtée. Je souffle aussi de désespoir toutes les dix minutes. Jade me demande ce qu'il se passe mais je lui répond que j'ai chaud. Je sais, j'aurais pu trouver mieux comme excuse mais je n'en peux vraiment plus. Je crois que j'ai perdu le goût de la vie normale. Je préfère la liberté à la vie normale. Parce que cette vie normale, ne l'est pas. Elle est faite de milliers de contraintes et d'étiquettes fixée sur chacun d'entre nous, sans jamais pouvoir s'en débarrasser. Au Centre, j'ai pu me défaire de mon étiquette d'enfant battue.

Et j'aime ça.

Le CentreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant