Une non-goth et un antichrist

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Elle avait lu l'article le matin même. Et elle était prête à parier que la jeune fille anémique qui faisait la queue devant elle était une fervente admiratrice de M.M. Vêtue de noir de la tête aux pies avec un genre de robe sombre qui formait un tutu mi-cuisse, plus de tatouages que de peau, de longs cheveux corbeaux et de grosses chaussures à plateformes. Gros cliché de la représentation que les gens se font des gothiques. Elle patientait pour parler au vendeur de la Fnac. Elle espérait juste que la gothique-anémique-anonyme se dépêche de faire sa requête.

- Excusez-moi, vous avez le collector de Clockwork Factory ?

Bingo. Pari gagné.

La voix de la fille était étonnamment faible, vacillante comme la flamme d'une bougie. Elle craignait presque qu'elle ne s'effrite sur place et disparaisse sous leurs yeux.

Le vendeur éclata d'un rire un peu moqueur. Après la voix aigrelettes de la gothique, il sonnait comme une agression auditive.

- Oh la la mais il faut se lever tôt, jeune fille, pour l'avoir !

- Mais j'ai été malade pendant tout ce temps et je n'avais aucune possibilité de l'avoir, protesta la fille d'une voix aigue et plaintive.

- T'as pas d'amis pour t'aider ?

- Personne n'est fan de M.M dans mon entourage, ils me comprennent pas, se plaignit la fille.

- Ah. Eh ben je suis désolé mais je peux rien faire, moi. Juste te proposer l'édition normale.

- Ok...

- La gothique s'écarta et s'éloigna en trois bonds furtifs de chat en direction du rayon multimédia. Sans savoir pourquoi, la fille l'avait touchée, en un sens. Elle avait beau être affublée de tout cet attirail ténébreux et de ce maquillage qui faisait masque, tout ceci sonnait comme un jeu. Elle était sensible, à fleur de peau, incomprise. D'un côté, elle lui ressemblait. Elle qui tentait de se donner contenance dans son blaser bleu marine.

- A vous !

- Ah, euh... j'ai oublié ce que je voulais dire... Ah oui, ça me revient !

***

Le show était terminé et comme à son habitude, M.M allait passer la nuit à vivre. En fait, il n'avait pas trop le choix : être éveillé après les shows était sa dope. Ce n'était pas seulement l'adrénaline qui se dispersait dans ses veines comme des bulles de champagne mais c'était une tradition qui faisait partie inhérente de sa vie. Lui qui détestait les conventions n'était pas prêt à briser cette règle de vie.

Cela faisait quelques temps qu'il n'avait pas eu de relation sérieuse, et il se demandait si après tout, il en avait réellement connu. Cinquantaine, l'âge de raison, disaient-ils. L'âge du trop plein de maturité, il l'avait déjà eu et trop tôt. Etait-ce mieux de vivre les choses en étant conscient qu'elles allaient virer au vinaigre ou était-ce plus opportun d'être un mec heureux et inconscient de son malheur ? Il n'était plus sûr.

Un type patibulaire balaya ces doutes un peu nauséabonds. Le mot qui venait instantanément à l'esprit en le voyant était 'malsain'. Dans son cas, le crédo 'l'habit ne fait pas le moine' était loin de lui allait comme un gant. Trois secondes encore et le gars allait aboyer.

-Oh, M. !

Sa voix dépassait tous les décibels qu'on tolérait de l'agressivité. M.M n'y prêta pas attention mais ralenti la cadence.

- Oh M.M ! Insista le chieur.

Il avait une voix de fou qui n'avait pas cherché noise à quelqu'un depuis trop longtemps. M.M s'arrêta.

- Oh, t'es qu'une espèce de salopard !

Il était habitué aux insultes. Ces dizaines d'années à passer pour un agitateur assoiffé de sang lui avaient formé une solide carapace d'acier contre les assauts de l'ignorance et de la stupidité.

- Tu vas encore sacrifier des animaux sur scène et pourrir la jeunesse ?!

Surtout de la stupidité.

-Oh, jte parle !

L'huile commençait à grésiller sur le feu. Le patibulaire tenta de lui donner un coup de poing qu'il eut le réflexe salutaire d'éviter.

Le cœur battant, il tenta de repousser son assaillant qui lui assena un nouveau coup de poing, au flanc, cette fois-ci. La douleur fut lancinante.

Les bagarres créaient des sortes de liens étranges entre les gens.

Il chancela et rendit le coup à l'agresseur en tentant de maîtriser son rythme cardiaque, trop rapide à son goût. Foutue tachycardie. Le chieur vacilla à son tour sur ses jambes qui ressemblaient à de gros jambons et tomba sur son énorme derrière, dans une chute comique. Il se releva en jurant et s'éloigna, furieux. Il semblait en colère contre M.M mais encore plus furieux contre lui-même, pour être tombé de façon aussi infantile et grotesque. Un frisson bien familier le parcourut. Ce qu'il ressentait à chaque flash d'appareil photo. Il voyait ça comme un viol. Un viol à tous les niveaux. On piquait son image, on empiétait sur sa vie privée. On harponnait son visage pour le figer sur des couvertures de magazines de merde et articles internet mal écrits. Des interprétations merdiques de ce qui venait de se passer allaient se répandre sur la toile comme une traînée de poudre. Il cacha son visage et alla se planquer à côté d'un container. C'était une grosse poubelle verte. Une grosse ironie, étant donné la situation. Son visage allait paraître dans les journaux orduriers. La vie lui offrait une belle métaphore. Il esquissa un sourire tordu. Il eut une pensée pour ses débuts, en particulier les fois où on lui envoyait des bouteilles vides sur scène. Là , on le prenait en photo avec une poubelle sans doute remplie de bouteilles vides. Putain de sort. Putain de chieur.

***


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant