Grandes Histoires

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Les grandes histoires avaient de petits commencements. C'est ce mot d'ordre qui avait motivé cette carrière colossale pendant des années. Et aujourd'hui il craignait que ce petit commencement mémorable ait une fin imminente. Il avait abandonné sa propre suite pour s'installer dans la sienne. Le regard malicieux de Twiggy lorsqu'il le croisait voulait tout dire. Il signifiait clairement 'tu passes du temps avec elle... ça m'a tout l'air d'être la bonne'. Cela ne lui faisait pas peur. C'était comme si tout ce qu'il avait vécu auparavant n'était qu'une sorte de tremplin pour ces moments passés avec la jeune femme. Il esquissa un sourire en pensant à un article qu'il avait lu la veille. La cinquantaine, l'âge de raison. Quelques petites années auparavant, il aurait trouvé ça puérile. Pire, même. Complètement stupide. Mais aujourd'hui, il se retrouvait dans le texte. Il savait mieux lire entre les lignes. Et les lignes n'étaient plus de la coke mais l'amour. Celui avec un grand A, celui-là même qu'il avait tant attendu sans vraiment l'attendre, par crainte d'être déçu. Il avait vécu toute sa vie, tristement, craignant un revers de la vie, la déception. La peur des déconvenues l'avait mené au doute et le doute au repli sur lui-même. Cette réserve avait été salutaire. Seulement là, il souhaitait plus que tout s'ouvrir. S'épanouir avec elle paraissait non seulement simple, mais aussi possible. Ça coulait de source. Cette évidence retentissante le bouleversait. Ses habitudes s'en trouvaient toutes chamboulées et son cœur battait la mesure. Il ne redoutait qu'une seule chose : que cet être aussi léger qu'une étoile filante disparaisse en un battement d'aile. Car il ne pourrait la retenir plus longtemps dans une cage dorée. Elle était solaire et lui si obscur. C'était un véritable courant d'air, un ouragan qui le bouleversait dans ses petites habitudes. Le temps l'avait embrigadé dans une sorte d'embourgeoisement, immobilité qu'il repoussait maintenant. Il craignait d'être repoussant, d'avoir un effet de répulsif sur cet être si volatile et fragile. Il avait pur que par un effet de girouette elle ne se détourne de lui aussi vite qu'elle ne l'avait connu. En fait, c'était de lui dont il avait peur. Parce que d'accoutumée, c'était lui qui avait ce genre de comportement. Il n'était pas mauvais, non. Mais il se rendait assez vite compte que la relation ne valait pas la peine d'être vécue et qu'il s'ennuyait. Il se voyait croupir avec la personne et une part de lui se demandait toujours plus ou moins ouvertement ce qu'il foutait avec la fille. Mais là, c'était différent. La part en lui criait 'elle n'a rien à faire avec toi. Elle est mieux que toi'. Il se sentait minable. Mais sans elle, c'était pire. Sa vie ne valait pas rien sans elle. Ce n'était simplement plus une vie.

***

Elle faisait ses valises- en emballant ses affaires, elle faisait taire ces sentiments trop forts qui s'échappaient de chaque pore de sa peau. Elle les emballait aussi entre ses robes, ses escarpins et ses sous-vêtements, ces sentiments. En un claquement de doigts, en un soupçon de temps, elle s'était rapprochée d'une personne connue mais qu'elle méconnaissait tellement. Une personne qu'elle n'aurait jamais rêvé approcher d'aussi près.

Elle détestait faire sa valise. Elle aimait la ranger à nouveau, c'était moins compliqué. Mais ce jour-là, elle ne pouvait pas le supporter. Elle ne voulait pas mettre de distance entre elle et lui. Il avait laissé plusieurs affaires dans sa suite. Un peu comme s'il voulait marquer son territoire, laisser un peu de lui près d'elle, comme ça, constamment. Elle frémit d'excitation. Ces éternels vêtements noirs devenus si familiers étaient devenus des alliés silencieux. Et un petit engin qu'il avait oublié. Son portable. L'envie la traversa comme un éclair. Elle voulut le consulter, juste par curiosité, ne serait-ce que pour voir les notes inscrites dans son calendrier, son propre nom dans son répertoire- l'avait-il renommée 'chérie' ? Non, décidément cela ne lui ressemblait pas. Et... elle s'empêcha presque d'y penser. Et si quelques autres femmes lui parlaient. Ça pouvait être des amies, pas vrai ? Il était tellement sollicité. Elle éprouva une sensation bizarre. Comme un feu qui s'allumait au fond de son ventre. Un feu qui crépitait de façon désagréable. Elle empoigna le smartphone comme s'il s'agissait d'un serpent vénéneux. Elle pria pour qu'il puisse se déverrouiller sans code. Bingo. Tout était plus facile qu'elle ne s'imaginait.

Ce n'est pas bien... ce n'est pas bien ce que tu fais

Des mails...des messages. Elle s'efforça de commencer 'soft'. Son calendrier. Sans surprise, peu de choses intéressantes y étaient notées. Ses dates de concert n'apparaissaient même pas. Elle secoua la tête en pensant aux autres moyens qu'il devait employer pour tout retenir. Il était évident que son manager avait un rôle des plus importants. Sa main trembla. Il avait reçu trois messages. Ce fut le plus récent qui l'inquiéta.


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant