Altercation et jeune Brian

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A presque quarante ans, elle pensait que ce genre de gêneur ne croiserait plus son chemin dans la rue. Elle réalisé son erreur avec la violence d'une gifle cuisante. Décidément, les morts-la-faim tapaient autant dans la chair fraiche que dans les femmes mâtures. Ce gars-là n'avait pas l'air d'avoir plus de vingt-cinq ans. Elle se demandait ce qu'ils attendaient au juste : qu'on leur réponde ? La seule attention qu'ils récoltaient était de l'agacement doublé de mépris. Elle avait préféré ne pas répondre aux sifflements, compliments salaces suivis d'insultes en prétendant être absorbée par la musique de ses écouteurs- en réalité elle n'avait plus assez de batterie et sa playlist l'indifférait. Il fallait qu'elle change un peu ses musiques, tiens.

Sa propre vie avait une mélodie redondante. Elle rimait avec sommeil, transport en commun et maisons. Des maisons paradisiaques hors de prix qu'elle devait connaître comme une propriétaire pour les faire visiter à des personnes très puissantes.

Comment peux-tu côtoyer ce monde en sachant pertinemment que tu ne pourras jamais t'offrir une seule des pièces de ces baraques ?

Les remarques piquantes des gens étaient aussi nombreuses qu'épicées. Elle répondait invariablement- quand ça valait la peine de répondre et que la personne était suffisamment fine pour saisir la pique- « comment pourrais-je faire visiter des maisons ordinaires à des gens ordinaires alors que j'ai déjà goûté à l'extraordinaire ? »

Et c'était vrai. Elle n'était habituée qu'au sublime et son esprit de rêveuse était alimenté par ces intérieurs magnifiques qu'elle faisait visiter. L'acteur hollandais qui venait de faire l'acquisition de ce manoir moderne était loin de se douter que cette dame à l'apparence classique, presque austère avait les pensées qui vagabondaient plus loin que personne ne pouvait le soupçonner. Faire découvrir de nouveaux espaces aux gens lui permettait de découvrir des facettes de sa personnalité qu'elle ne soupçonnait pas. Il n'y avait pas d'explication à ça. En fait, son métier était à ses yeux tellement banal qu'elle éprouvait le besoin de le manifier mentalement. Si les gens qu'elle croisait pouvaient avoir accès à une petite partie de son cerveau, ils seraient entraînés dans un kaléidoscope d'idées farfelues.

Elle regarda son reflet dans la vitre d'un magasin fermé depuis trois mois pour cause de travaux. Ses cheveux noirs s'échappaient en mèches de son chignon, ce qui lui donnait un air un peu plus espiègle. Ses yeux sombres soulignés d'un trait d'eye liner pétillaient et sa bouche était encore colorée de bordeaux. Son teint était pâle. Un pan de son blaser était tiré par son sac à main et une lanière de son soutien-gorge était visible. C'était assez insolite avec ce genre de veste. C'était comme si la personne fantaisiste à l'intérieur de sa tête avait soudainement décidé d'être visible. De s'échapper par tous les pores de sa peau. Ca ne lui déplaisait pas. Elle poursuivit sa route en esquissant un léger sourire.

***

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas touché à ça. Il fallait vraiment qu'il soit à un niveau d'ennui tel pour qu'il feuillette à nouveau ces écrits. Lorsqu'il était un ver. Lorsqu'il n'était pas un nom sur les pochettes d'album et les affiches de concert. Et quand il distribuait encore des flyers lui-même, avant qu'il ne soit ultra-médiatisé. Il les trouvait pas trop mal, ces nouvelles. Ca lui faisait à un enfant minuscule et aveugle qui se cherchait dans une maison hostile. Les refus étaient tombés, aussi secs et tranchants que des couperets. M.M avait gardé toutes ces lettres stériles truffées de mauvaise foi et d'excuses bidons. Il s'était rivé à sa boîte aux lettres maintes fois comme si le facteur distribuait des œufs en or pour trouver des œufs pochés à la place. Des œufs qui représentaient un échec cuisant et une injustice. La solitude l'avait pris aux tripes d'une façon si violente qu'il avait décidé de faire prendre un nouveau cap à sa vie. Sur le moment, il ignorait quelle direction il allait prendre mais il savait, il sentait qu'un changement radical allait s'opérer. Et que ça allait non seulement bousculer toutes règles établies mais ses propres repères à lui allaient être chamboulés. Voir ces écrits, les tenir dans ses mains revenait à palper cette période, être projeté tant mentalement que physiquement en arrière.


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant