Ses sentiments

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- Je t'en prie, souffla-t-il d'un ton implorant

Il fut incapable de poursuivre, sur le moment. Il déglutit péniblement et vit que le regard de la jeune femme n'avait pas changé. Il sentit ses yeux s'embuer mais repris la parole, à bout de souffle :

- Je comprends... je comprendrais que tu ne veuilles plus me parler mais laisses moi t'expliquer.

C'était banal. C'était plat. Mais c'est comme si sa gorge ne voulait plus laisser passer un son. Pour un chanteur, c'était un comble.

Il était si éloquent sur un bout de papier, une scène, et il se sentait tellement petit à présent. Soutenir ce regard était trop pénible mais il savait qu'il le méritait. Que tout était de sa faute et qu'il devait user de tout pour la récupérer. Quel qu'en soit l'impact sur sa vie, ses émotions. Tout ce qui comptait, c'était ELLE.

- Je- t'en -supplie.

Il se sentait comme un condamné à qui on était sur le point de couper la tête. En train de supplier son bourreau. Elle tenait ses chaînes et regarder gesticuler son âme sans mot dire. Jamais il n'avait fait ça pour une femme. Il se sentait prêt à se mettre à genoux pour recevoir le coup de grâce ou pour cueillir sa grâce. Elle fulminait. Elle était si belle dans cette superbe indifférence que son orgueil vola en éclat.

- Aujourd'hui était insupportable : je ne peux pas vivre sans toi.

Aucun mot. Il se noyait dans des mots qui semblaient trop classiques, trop surfaits. Trop 'romantisme de supermarché'. Mais il les ressentait. Il les sentait tellement qu'il se sentait bouillir de 'intérieur. Il fallait qu'elle dise quelque chose, n'importe quoi. Il fallait qu'elle le sauve.

- En fait, sans toi, rien n'a de sens. Je... je ne suis rien.

Il avait dit 'rien' avec une voix tremblante comme la lumière vacillante d'une bougie. Elle cligna des yeux. Peut-être pour la première fois depuis le début. Ses yeux étaient un peu brillants. Mais inutile de sonder ses pensées. De voir l'ombre d'une émotion dans ces prunelles noisette.

- Je me sens minable. Je ne mérite pas de rentrer chez toi ni de me tenir devant toi.

Elle hocha la tête. Ce signe inespéré le blessa mais l'encouragea à rester un peu.

- Rien de ce que je pourrais dire ne pourra excuser ce que tu as ressenti. Mais ce que je veux que tu saches est que...

Sa voix se brisa. Elle croisait les bras comme pour barrer le passage et l'empêcher de pénétrer dans son émotionnel. Pour l'empêcher de l'atteindre.

- Je veux que tu saches que je t'aime.

Nouveau clignement d'œil.

Elle chuchota quelque chose d'indistinct. Il pencha la tête comme pour l'encouragea à continuer.

- Va-t'en. Dit-elle plus fort. Va-t'en.

- Je...

Elle secoua fermement la tête et quelque chose se brisa en lui. Elle et son peignoir disparurent derrière la porte. Elle laissa là.

Il n'osa d'abord pas partir, comme si elle allait changer d'avis et lui ouvrir enfin cette porte. Puis il s'assit sur une marche comme un mendiant qu'on ignore et qui se sent coupable. Il jeta encore un dernier regard en direction de l'appartement et rentra chez lui, affligé, déchiré, se sentant pitoyable.

***


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant