Chapitre 1 : Seul dans la nuit, au bord du gouffre

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Le vent fouettait mon visage, faisant virevolter mes cheveux blonds que je n'avais pas coupé depuis leur mort et leur enterrement, il y avait maintenant quatre mois. Je les sentis me chatouiller la nuque. Ils repoussaient à une vitesse folle, c'était incroyable. Peut-être que je me serais soucié de les repousser derrière mon oreille afin qu'ils ne me gênent plus si j'avais été plus attentif, moins détruit et perdu. C'était d'ailleurs ce que l'on me reprochait assez souvent, surtout mon grand-père. « Mais Ethan, tu sais, cela fait déjà quelques mois qu'ils sont partis. Tu devrais peut-être te ressaisir, non ? » J'avais toujours envie de leur hurler dessus, de les traiter de tous les noms mais, au fond, je n'en avais pas la force. Et puis, ils faisaient cela pour que j'aille mieux.

Pourtant, j'allais mieux. Il y avait quatre mois, quand j'ai appris la mort des trois êtres qui m'étaient les plus chers, je n'y avais pas cru. Un samedi après-midi, mon frère avait eu un match de handball et mes parents l'accompagnaient, comme assez souvent. Et comme d'habitude, j'étais resté à la maison car il faisait trop chaud et que je n'en avais pas envie. Puis, une fois le match fini, ils devaient rentrer. Sur le périphérique, il n'y avait pas grand monde à cette heure-là. Pourtant, ils roulaient à peine au-dessus de la vitesse limitée mais ce n'était pas le cas de la voiture qui les doublait. Normalement, ça n'aurait dérangé personne, et ç'aurait fait le bonheur des policiers qui comptaient sûrement sur ce « petit » excès de vitesse pour arrondir leur fin de mois. Mais, ce ne fut pas ainsi que ça se déroula.

Le conducteur de la voiture, une Xsara grise, avait été pris par surprise. Il n'avait pas vu qu'il y avait un objet sur la chaussée et, tentant de l'éviter, l'homme avait donné un brutal coup de volant sur la droite. La collision avait été violente, violence accentuée par la vitesse à laquelle roulait le conducteur de la Xsara, et le C8 noir de mon père avait été projeté hors de la chaussée. Cependant, ils étaient sur un pont dont les bords étaient protégés par de résistantes barrières. Ma mère et mon frère ont été tués sur le coup, écrasés contre la barrière, et mon père tomba dans le coma, grièvement blessé, avant de rejoindre les deux autres dans la mort quelques heures après.

Une mort toute bête, simple peut-être, mais terrible.

Tragique.

Pour eux, comme pour moi d'ailleurs. Car personne n'y pensait réellement mais on parlait de victime comme quelqu'un qui subit. J'avais subi la mort de mes proches, j'étais presque tout autant victime qu'eux. Ils avaient tous les trois laissé derrière eux un fils, un frère. Quant au conducteur de la Xsara, lui, il s'en était sorti avec de graves blessures mais pas mortelles. Il avait regretté, mais pas autant que moi. Et ce n'était pas le pire. Cet homme n'était pas le genre de salopard que l'on parvenait à haïr facilement. Il était un père d'une fille de trois ans à peine et il avait pourtant été envoyé en prison pour homicide involontaire. Il s'y était résigné, il avait accepté sa peine.

Mais, moi, je n'acceptais pas la mienne. Elle était trop lourde à porter.

Presque immédiatement, j'avais été pris en charge par mes grands-parents maternels qui étaient venus habiter dans ma maison le temps de tout mettre en ordre officiellement. Je leur avais fait comprendre que je ne voulais plus rester dans ce quartier rempli de souvenirs alors ils m'avaient proposé d'emménager dans leur maison dans le Jura, aux Rousses, un village juste à la frontière suisse. J'avais accepté et ils avaient organisé les obsèques, tandis que je restais confiné dans un lourd silence, pleurant toutes les larmes que je pouvais. C'en était presque insupportable. Chacun reprit rapidement sa vie comme si rien n'était arrivé, alors que je réalisais peu à peu ce qu'il s'était passé. La solitude me hantait. J'avais perdu le sourire, la faim et l'envie d'avoir envie. Pourtant, j'attendais. Quoi ? Je l'ignorais. Peut-être leur retour. Que l'on m'annonce que tout ceci n'était pas réel. Que je m'éveille en sueur à cause du réveil et qu'en descendant dans la cuisine, je trouverai ma famille en train de déjeuner, me demandant si j'avais bien dormi. Ce même espoir me secouait dès que j'entendais la porte d'entrée claquer. Mais rien. Futiles espérances.

Loup des bois et des rêves (M/M)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant