Une grande tape amicale vint s'abattre dans mon dos, me faisant vaciller et presque trébucher en avant.
— Alors ! Que penses-tu faire pendant cette semaine de révisions ?
— Bah, réviser, répondis-je en rigolant.
— Mais tu es relou, Ethan ! s'exclama Jeanne, une amie de la fac. Tu ne vas pas passer ton temps dans tes bouquins, faut sortir dans la vie !
— J'ai fait ça assez souvent pendant le semestre, j'estime qu'il est temps de bosser, rétorquai-je.
Six mois s'étaient écoulés depuis que j'avais quitté les Rousses et le Jura. Contre toute attente, j'étais retourné à Lyon pour finir mes études, passer le bac durant la deuxième session que j'avais obtenu sans aucune mention – sans surprise – et étais entré dans l'une des universités de Lyon en licence d'histoire, en octobre. A vrai dire, j'avais prévu au départ de quitter cette ville pour les études supérieures, d'autres universités m'ayant accepté elles aussi, mais Antoine, mon ami le plus proche à ce jour et chez qui j'avais logé à mon retour, m'avait proposé de rester ici en colocation avec lui. D'ailleurs, il avait été un véritable ange pendant tout l'été et même après. Sans poser de question, il m'avait accueilli chez lui fin juin et avait accepté de n'en parler à personne comme je le lui avais demandé – pas même à Alice, ma meilleure amie, à qui je continuais de mentir et qui me pensait toujours dans le Jura, vu ses récents messages. J'aurais pu aller chez celle-ci à mon retour, mais je trouvais déjà mon geste prévisible alors je n'avais pas souhaité en rajouter une couche, bien que ma grand-mère m'avait avoué que ma décision de revenir à Lyon restait incompréhensible.
Lorsqu'était arrivé, fin juin, l'anniversaire de mort de mes parents et mon petit-frère, Antoine m'avait soutenu sans jamais me lâcher une seule seconde, un peu comme Jules l'avait fait. Cependant, j'avais été incapable d'aller les voir au cimetière. Je n'en avais pas trouvé la force et personne ne m'y avait forcé. Puis, j'avais passé toutes les vacances d'été avec mon ami et nous étions partis dans le nord de la France, en Bretagne, afin de se changer les idées. Pendant ces deux mois, Antoine m'avait traîné un peu partout, me faisant complètement oublier mes mauvais souvenirs, et j'étais alors reparti du bon pied à la fac tandis que lui était entré à l'INSA, l'Institut National des Sciences Appliquées – quelque chose qui n'était absolument pas fait pour moi et mon aversion pour les sciences. Désormais, nous étions au début du mois de décembre et, dans une semaine, j'avais le début de mes partiels jusqu'à la veille de Noël.
Pendant ce semestre, j'avais bossé comme un dingue mais la raison première de cet acharnement n'était pas que je voulais réussir mes études. Non, je voulais oublier. Ceci avait été le plus dur. Durant les premières semaines après mon départ, j'avais reçu plusieurs messages de la part de Jules et les trois autres – Ambre, Mathieu et Léa – mais jamais je ne leur avais répondu et j'avais fini par bloquer puis supprimer leurs numéros. J'étais conscient qu'ils n'y étaient pour rien mais ils me rappelaient trop le Jura et tout ce que j'avais vécu là-bas. D'ailleurs, je ne sus jamais si Arthur m'avait envoyé un message ou appelé au moins une fois. Avant de supprimer son numéro dans le train, je l'avais bloqué et effacé toute trace de son passage dans ma vie. Photos – datant de ma période de séjour chez lui un an plus tôt –, sms, journal d'appel même... Tout était passé à la corbeille sans aucune hésitation ou presque. Pour cela, j'avais été plutôt fier de moi. De plus, en dehors ma crise dans le train, je n'avais plus pleuré pour lui ou quoique ce soit d'autre, comme si le malheur qui m'avait accablé n'avait été amené que par lui. Parfois, c'était dur mais je tenais fermement à ma résolution de l'oublier. J'avais trop souffert par sa faute.
Toutefois, même si j'étais résolu à effacer mes souvenirs du Jura, je restais en contact avec ma grand-mère. Elle payait mes études, prenait toujours soin de moi en m'envoyant une somme d'argent respectable tous les mois et s'enquerrait régulièrement de mes nouvelles. Elle seule était au courant de l'endroit où je me trouvais, ce qui était tout à fait normal pour ma tutrice. Pour certains, ç'aurait été logique que je retourne à Lyon mais, au vu de ce que j'avais vécu là-bas, y retourner restait improbable. De plus, j'avais tout fait pour que tout le monde croie que j'étais parti ailleurs, en prenant même le soin de ne pas prendre un train direct pour Lyon. Ma grand-mère avait contribué à cette mascarade bien qu'au fond de moi, je savais qu'elle faisait tout pour que je revienne. Elle avait d'ailleurs fait la bourde, il y a deux semaines, de me demander si je voulais revenir pour Noël pour ne pas le passer seul à l'appartement. Je lui avais presque hurlé dessus en lui faisant comprendre que je n'avais aucune envie de revenir, ce à quoi elle avait répliqué que j'étais un menteur. Bien sûr que je mourrais d'envie de le revoir. Pourtant, je le haïssais presqu'autant que je l'aimais, si ce n'était plus.
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Loup des bois et des rêves (M/M)
RomanceEthan Colas, un garçon brisé suite à la perte de ses parents et de son petit-frère et dans lequel la colère a choisi d'habiter, se retrouve contraint de suivre ses grands-parents dans le Jura. Près de la frontière suisse, il découvre une nouvelle vi...